VOL. 82, N° 1 (2013)

Editorial

Bioéthique versus anthropologie

C’est dans le Christ « image du Dieu invisible » que l’homme a été créé à « l’image et à la ressemblance » du Créateur.

C’est dans le Christ, rédempteur et sauveur, que l’image divine, altérée dans l’homme par le premier péché, a été restaurée dans sa beauté originelle et ennoblie de la grâce de Dieu [1].

Le monde actuel n’est pas en crise. Il est en mutation :

  • Mutation géopolitique : le monde n’est plus centré sur l’Europe ;
  • Mutation économique : la globalisation ou la mondialisation ;
  • Mutation écologique : il devient impossible de déployer un projet de croissance infinie à l’intérieur d’un monde fini ;
  • Révolution numérique ou informatique ;
  • Révolution génétique : le pouvoir d’action directe sur les mécanismes de la vie ;

 

… et l’énumération peut être encore longue !

Quelle aubaine ! [2]

Réaliser qu’il s’agit bien là d’une mutation et non d’une crise doit, tout à la fois, susciter en nous une grande espérance, et nous appeler également à tenter de contribuer à la construction de ce monde nouveau.

Plus que jamais, nous avons besoin d’une vision de l’Homme, adaptée, actualisée.

Cependant, le relativisme agressif de la société actuelle, ainsi que l’impérialisme du présent ont fait que plus rien de l’homme n’a été transmis, et, qui plus est, que nous ne savons plus ce que nous avons à transmettre, ni comment le transmettre.

Pour Damien Le Guay [3], « nous adorons nous conjuguer au présent, nous avons oublié de nous accorder au passé et nous sommes incapables de nous décliner au futur. Cet impérialisme du présent instaure dans la trame historique un « trou noir » temporel qui attire à lui le passé, l’engloutit et interdit, en quelque sorte, qu’apparaisse un horizon, un avenir.. ».

Et Marcel Gauchet [4]  lui emboîte le pas lorsqu’il précise que cette situation : « fabrique des acteurs qui ne savent pas bien qui ils sont, ni quel est le sens de leurs actions. A la lettre, ils ne se connaissent pas, ils flottent dans une étrangeté à eux-mêmes qui justifie de parler d’une aliénation d’un genre nouveau… »

En réalité, le triple souci : recevoir, donner et rendre, qui constitue le socle anthropologique, a actuellement quasi disparu. Et, si les chrétiens font incontestablement d’énormes efforts pour se situer sur le plan naturel de l’anthropologie, ils sont sans cesse renvoyés à leur appartenance confessionnelle.

Qu’à cela ne tienne, soyons créatifs !

Mais pour ce faire, il convient de se ménager un minimum de disponibilité intérieure.

Nous devons tenir compte du fait que la post- modernité est une époque de mise en doute de la raison, ainsi que d’autodérision de l’effort humain. C’est une ère de déconstruction du Vrai, du Beau et du Bien.

Aujourd’hui, la philosophie a perdu non seulement son vocabulaire, mais aussi sa finalité. Que reste-t-il de notre héritage ? Les Grecs avaient donné au monde la distinction entre raison et croyances ; le christianisme a fondé une philosophie qui, en lien avec la théologie, a permis à celle-ci de devenir une science qui, de son côté, conforte et éclaire la raison.

Deux mille ans de christianisme ont donné lieu à une philosophie d’inspiration chrétienne permettant le développement d’une anthropologie fondée sur la personne humaine [5].

Actuellement, l’idée de personne humaine se trouve au carrefour de nombreuses perspectives. Au premier chef, le sens de la finalité : la personne dispose d’un destin libre, un avenir, une histoire qui est le développement de sa nature [6].

Face aux brillants résultats scientifiques et à ceux de leur application médicale, plus particulièrement, un double constat s’impose :

Premier constat : Aujourd’hui, grâce aux biotechnologies et aux nanotechnologies, il est possible :

  • de recomposer notre ADN,
  • de fabriquer des cellules artificielles,
  • de potentialiser directement notre cerveau,
  • de réparer le corps à l’infini… au point de repousser les frontières de la maladie, de la vieillesse et de la mort.
  • ….

 

Second constat : Le fameux « BANG » : de B, A, N, G pour Bits, Atomes, Neurones et Gènes, affecte directement l’homme. Bits et atomes sont mis au service d’un remodelage décisif des neurones et des gènes. Ils sont capables de façonner l’homme de l’intérieur !

Mais ces pratiques inédites semblent libres de toutes règles !

Ne sont-elles pas soumises au seul jeu de la toute-puissance de la technique, du « tout est possible » ? … qui elle-même prolonge le désir humain de « tout est désirable » ?

Merveilleux !!! …. ou odieux ????

O-ù allons-nous ???

Et c’est ICI qu’apparaît la nécessité d’une Ethique.

Dans son « Discours sur la Méthode », Descartes [7]  écrit : « S’il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus habiles qu’ils n’ont été jusqu’ici, je crois que c’est dans la médecine qu’on doit le chercher ».

La médecine s’est toujours appuyée sur une sagesse et une exigence non seulement déontologique, mais aussi morale. Et cette morale renvoie à l’éthique, au sens moderne du terme, qui situe l’exercice de l’activité médicale au cœur même de la société.

Reconnaissons que la médecine a enregistré au cours des dernières décennies des progrès bien plus considérables que ceux qu’elle a connus au cours des siècles passés. Elle a cristallisé nombre d’avancées scientifiques parmi les plus spectaculaires, associant les disciplines de pointe les plus variées : la chimie, la physique, la biologie, génétique, informatique, robotique, techniques de l’imagerie médicale, télécommunications et maintenant internet…

Mais les progrès de la connaissance confèrent aux soignants des pouvoirs qui ne sont plus uniquement de l’ordre du traitement de la maladie, et pour lesquels le serment d’Hippocrate et la déontologie médicale, même s’ils restent plus que jamais d’actualité, ne sont pas toujours du même secours qu’autrefois.

La tentation d’une instrumentation de la médecine ne relève plus de la science-fiction. Elle devient réalité. Instrumentation au service d’aspirations personnelles. Instrumentation aussi au service de fantasmes individuels, et un jour, qui sait, au service d’une volonté de puissance.

Nous entrons dans des régions inexplorées où la médecine répondra de mieux en mieux aux immenses espérances que nous plaçons en elle, mais où elle risque aussi de s’égarer. Il est vital pour l’avenir que la nécessaire avancée des connaissances s’accompagne d’une réaffirmation de la déontologie et d’un renouveau de l’éthique [8] pour que le développement scientifique reste subordonné au bien de l’homme.

Mais soyons clair : l’image du vocable « Ethique », lorsqu’il est appliqué à la médecine et aux sciences du vivant offre une ambiguïté, car il recouvre indifféremment :

 

  • L’éthique médicale proprement dite, c’est-à-dire l’exigence d’une certaine forme de comportement de la médecine au service du malade, et
  • La Bioéthique, qui est la mise en forme, à partir d’une recherche pluridisciplinaire, d’un questionnement sur les conflits de valeurs suscités par le développement techno -scientifique dans le domaine du vivant,

 

L’éthique médicale a-t-elle vocation à dominer la bioéthique ?

La bioéthique est-elle la résurgence d’une morale institutionnelle, voire religieuse, que la science aurait bousculée depuis un siècle ?

Elle est peut-être aussi l’occasion pour une société de s’approprier la réflexion sur le vivant en ne la confiant justement pas aux seuls scientifiques qui, quelle que soit leur ouverture d’esprit, ne peuvent s’empêcher de déduire de leurs recherches une pratique.

La bioéthique dépasse donc largement les enjeux scientifiques.

Elle porte un regard sur la vie, sur ce qui nous fait homme, sur notre capacité à vivre ensemble, surtout sur notre attention à l’autre, en particulier le plus fragile, le plus vulnérable.

Qu’est-ce cela, sinon une vision anthropologique de l’Homme ?

 

———

[1] Catéchisme de l’Eglise Catholique. 1701. P.365-6, ISBN : 2-7289- 0549-5, Plon. Paris. 1992.

[2] GUILLEBAUD J.Cl : Une autre vie est possible. L’Iconoclaste. Paris. 2012, ISBN 978.2.91336-646-6,

Pp 1-125.

[3] LE GUAY D. : Le fil rompu de la transmission. Famille Chrétienne, N° 1773, 7-13/01/2012, pp.32-34.

[4] GAUCHET M. : Conférence de Carême 2005, parue dans La Croix. 29-30/02/2005,

[5] De LAUBIER P. : Anthropologie Chrétienne. L’Harmattan, Paris, 2012, ISBN 978-2-296-99313-6, pp.1-130.

[6] HUMBRECHT Th.D. : L’évangélisation impertinente. Parole et Silence, 2012, ISBN 978-2-88918-069-1.

[7] DESCARTES : Œuvres philosophiques, Collection de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1953.

[8] SICARD D. : L’éthique médicale et la bioéthique. PUF. 2009, ISBN 978-2-13-058662-3, pp. 1-128.

Ten geleide

Bio-ethiek versus antropologie

In Christus, “beeld van de onzichtbare God” werd de mens geschapen naar “beeld en gelijkenis “van zijn Schepper.

In Christus, Zaligmaker en Heiland, werd het beeld van God, bezoedeld door de eerste zonde van de mens, gerestaureerd in haar originele schoonheid en veredeld in de gratie Gods.(1)

De huidige wereld is niet in crisis, zij maakt een mutatie door:

  • Geopolitieke mutatie: de wereld is niet meer op Europa gecentreerd;
  • Economische mutatie: globalisatie of mondialisatie;
  • Ecologische mutatie: het wordt onmogelijk een eindeloos groeiproject te ontwikkelen in een begrensde wereld;
  • Revolutie door de informatica;
  • Genetische revolutie: kunnen ingrijpen in de mechanismen van het leven;

 

… en de lijst kan nog langer worden!

Wat een buitenkans! (2)

Het bewustzijn dat het hier om een mutatie gaat en niet om een crisis, moet in ons de hoop doen groeien en ons ertoe aanzetten mee te werken aan de opbouw van deze nieuwe wereld.
Meer dan ooit hebben we nood aan een aangepaste en geactualiseerde visie op de Mens.
Het agressief relativisme van de huidige maatschappij en het imperialisme van de huidige tijd hebben er echter voor gezorgd dat niets van de mens werd overgedragen en, wat meer is, we weten niet meer wat we moeten overdragen noch op welke wijze.

Volgens Damien Le Guay (3), “we verenigen ons met het heden, we hebben vergeten belang te hechten aan het verleden en we zijn niet in staat de toekomst te ondergaan. Dit imperialisme van het heden doet een tijdelijk “zwart gat” ontstaan in het weefsel van de geschiedenis die het verleden aanzuigt, het verzwelgt en maakt in zekere zin het ontstaan van een horizon , van een toekomst onmogelijk”.

En Marcel Gaucher volgt hem slaafs door te preciseren dat deze toestand: “daders schept die niet goed weten wie ze zijn noch de zin van hun daden kennen. Letterlijk kennen ze zich niet, ze vlotten in iets wat hen vreemd is, wat leidt tot een nieuwe waanzinnigheid…”

In feite, de drievoudige zorg: ontvangen, geven en teruggeven, die de antropologische basis uitmaakt, is geheel verdwenen. En indien de christenen zich ontegenzeggelijk zware inspanningen veroorloven om zich op het natuurlijk plan van de antropologie te begeven, worden ze continu terugverwezen naar hun geloofsovertuiging.

Laat ons echter creatief zijn!
Maar om dat te bereiken moeten we zorgen voor een minimum aan inwendige beschikbaarheid.

We moeten rekening houden met het feit dat de postmoderniteit een periode is waarin de rede in twijfel wordt gebracht, evenals de zelfspot voor de menselijke inspanning. We leven in een tijdperk van deconstructie van het Ware, het Mooie en het Goede.

Vandaag heeft de filosofie niet alleen haar woordenschat verloren, maar ook haar doelgerichtheid. Wat schiet er nog over van onze nalatenschap? De Grieken hebben de wereld het onderscheid gebracht tussen rede en geloof; het christendom heeft een filosofie voortgebracht die, verbonden met de theologie, mogelijk gemaakt heeft dat ze een wetenschap werd die, op haar beurt de rede verlicht en versterkt.

Twee duizend jaar christendom hebben een christelijke filosofie gebracht die de ontwikkeling mogelijk maakte van een op de mens gerichte antropologie (5)

Heden ten dage staat het begrip “menselijke persoon” op een kruispunt van perspectieven. In eerste instantie de doelgerichtheid: het individu beschikt over een zelfbestemming, een toekomst, een geschiedenis die de ontwikkeling is van zijn natuur (6).
Een dubbele vaststelling dringt zich op tegenover schitterende wetenschappelijke resultaten, in het bijzonder hun medische toepassingen:

Eerste vaststelling: dankzij de biotechnologie en de nanotechnologie is het thans mogelijk:

 

  • ons DNA opnieuw samen te stellen,
  • artificiële cellen te kweken,
  • onze hersenen direct te potentialiseren,
  • zonder limiet in te grijpen in het herstel van het lichaam… in zulke mate dat de grenzen van ziekte, ouderdom en dood worden verschoven.

Tweede veststelling: het befaamde “BANG”: de B.A.N.G. voor Bits, Atoom, Neuron en Genen, betreft de mens rechtstreeks. Bits en atomen dienen tot het omvormen van neuronen en genen. Ze zijn in staat de inwendige mens te modeleren!
Maar zijn deze onuitgegeven ingrepen vrijgesteld van elke regulering?

 

Zijn ze niet alleen onderworpen aan de almacht van de techniek, van het:” Alles is mogelijk”? … wat voortspruit uit de menselijke drijfveer dat “alles wenselijk is”?
Is dit bewonderenswaardig of afschuwelijk????

Waar gaan we naartoe???

HIER manifesteert zich de nood van een Ethiek.

In zijn ” Discours sur la Méthode” schrijft Descartes (7): “Indien het mogelijk is iets te vinden dat de mens doorgaans wijzer en handiger maakt dan hij tot nog toe was, dan denk ik dat we dat in de geneeskunde moeten zoeken”.

De geneeskunde berustte altijd op wijsheid en nood die niet alleen deontologisch was maar ook moreel. En deze moraal grijpt terug naar de ethiek, in de moderne betekenis van deze term, die de uitoefening van de geneeskunde in het hart van de samenleving situeert.

Laat ons erkennen dat de geneeskunde de laatste decennia in veel aanzienlijker mate is geëvolueerd dan in de vorige eeuwen. Zij heeft de meest spectaculaire vooruitgang geboekt door de meest gevarieerde topdisciplines te associëren: de scheikunde, de fysica, de biologie, de genetica, de informatica, de robotica, technieken van medische beeldvorming, telecommunicatie en thans ook het internet…
Maar de vooruitgang van de kennis verleent aan de zorgverleners mogelijkheden die niet meer alleen verband houden met de behandeling van de ziekte, waarvoor de eed van Hippocrates en de medische deontologie, zelfs al zijn ze nog even actueel, geven ze niet meer dezelfde ondersteuning als voorheen.

De bekoring tot vertechnisering van de geneeskunde berust niet meer op sciencefiction, ze is een realiteit. Om te voldoen aan persoonlijke aspiraties, aan persoonlijke droombeelden, en wie weet, aan machtswellust.

Wij geraken in een onontgonnen gebied waar de geneeskunde meer en meer zal voldoen aan de meest verscheidene wensen die we in haar stellen, maar waar ze zich ook in kan verliezen. In de toekomst is het noodzakelijk dat kennis gepaard gaat met een bevestiging van de deontologie en van een vernieuwde ethiek (8) opdat de wetenschappelijke vooruitgang ondergeschikt zou blijven aan wat goed is voor de mens.

Maar, laat ons duidelijk stellen dat het begrip “Ethiek”, toegepast op de geneeskunde et op de levenswetenschappen een dubbelzinnigheid bevat aangezien ze zonder onderscheid dekt:
° De medische ethiek in beperkte zin, ’t is te zeggen een zekere gedragslijn van de geneeskunde ten dienst van de zieke, en
° De Bio-ethiek, die vorm geeft, afgaande op een multidisciplinaire aanpak van de bevraging van waarden als gevolg van de technisch-wetenschappelijke vooruitgang op het gebied van de levende materie.

Heeft de medische ethiek de roeping om de bio-ethiek te domineren?

Brengt de bio-ethiek de wedergeboorte van een institutionele moraal, ja zelfs religieuze moraal, die de wetenschap sedert een eeuw heeft verdrongen?

Het is misschien de kans voor onze maatschappij de bezinning over het leven niet enkel toe te vertrouwen aan de beoefenaars van de zuivere wetenschap, die welke ook hun openheid van geest moge zijn, zich niet kunnen onthouden van een praktische toepassing van hun wetenschappelijk werk.

De bio-ethiek overtreft dus ruim de wetenschappelijke inzet.
Ze heeft een zienswijze op het leven die van ons mensen maakt, om samen te leven, in het bijzonder met aandacht voor de andere, voor de zwakkere, de meest kwetsbare.

Is dit, zo niet een antropologische visie op de Mens?

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Referenties

(1) Catéchisme de l’Eglise catholique 17014. P. 365-6, ISBN : 2-7289-0549-5 Plon. Paris. 1992.
(2) GUILLEBAUD J. Cl. : Une autre vie est possible. L’Iconoclaste. Paris. 2012, ISBN 978.2.91336-646-6, pp. 1-125.
(3) LE GUAY D. : Le fil rompu de la transmission. Famille Chrétienne, N° 1773,7-13/01/2012, pp. 32-34.
(4) GAUCHET M. : Conférence de Carême 2005, parue dans La Croix. 29-30/02/2005.
(5) DE LAUBIER P. : Anthropologie Chrétienne. L’Harmattan, Paris, 2012, ISBN 978-2-296-99313-6, pp. 1-130.
(6) HUMBRECHT Th. D. : L’évangélisation impertinente. Parole et Science, 2012, ISBN 978-2-88918-069-1.
(7) DESCARTES : L’éthique médicale et la bioéthique. PUF. 2009, ISBN 978-2-13-058662-3, pp. 1-128.

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Soins et spiritualité chrétienne

Le soin est l’activité à laquelle l’homme consacre, malgré les apparences, la plus grande partie de son temps. Le soin prend des formes éminemment variables toutes inscrites dans la simplicité de nos vies comme prendre soin de son corps, éduquer ses enfants, travailler pour sa famille ou encore avoir une activité ludique qui permet de prendre soin de soi et de sa relation à l’autre. Nous limiterons donc notre propos au seul soin entendu dans la sphère de la santé stricto sensu, du soin porté au malade et reçu par lui. Par ailleurs, le désir le plus profond le plus essentiel est de vivre et d’être reconnu comme un être spirituel. Ainsi soin et spiritualité prennent une place considérable dans nos vies et se trouvent de ce fait en lien.
La prière est aussi une voie de guérison, de salut. Mais cette contribution n’envisagera pas la spiritualité chrétienne ou non comme outil de soin. Il nous est relaté régulièrement des dérives sectaires et mêmes délictueuses de l’utilisation dévoyée de la spiritualité sous couvert de thérapie. Cet aspect de la question ayant trait à la psychopathologie des acteurs est hors de notre propos et demande des développements particuliers.

J’inscris cette intervention dans une double filiation. En premier lieu, je souhaite poursuivre la réflexion entamée l’année dernière par notre ami David Doat. Ainsi le parallèle établi entre soigner et prendre soin sera en fond de décor. Deuxième filiation, l’invitation faite par les évêques de Belgique avec leur nouvelle lettre pastorale qui a pour titre : « être chrétien aujourd’hui ». Invitation qu’il faut comprendre dans la dynamique du cinquantième anniversaire de Vatican II qui a été marqué par cette volonté de présence au Monde.

Le point d’ancrage de cette réflexion se veut être éminemment praticien, incarné dans nos espérances, nos contradictions, et aussi pourquoi pas dans nos mensonges ; notre réalité humaine ne passe t-elle pas aussi par ces derniers écueils. Je souhaite avec vous pouvoir percevoir plus encore la richesse du mot « et » de notre titre, mot qui vient nous mettre en tension, nous remettre en questions, nous émonder, pour nous ouvrir vers un autre possible, un inattendu. Mais aussi mot qui nous intime l‘ordre de chercher à nous mettre en cohérence, de nous ajuster à notre monde. Ainsi je fais appel à trois apôtres. Saint Paul : « vous êtes dans ce monde, mais vous n’êtes pas de ce monde ». Saint Pierre dans sa première lettre: « Soyez toujours prêts à justifier de votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte. Mais que ce se soit avec respect et douceur… » 1P, 3, 15. Et Saint Jacques : Jc 2, 17-18 ainsi donc, celui qui n’agit pas, sa foi est bel et bien morte, et on peut lui dire : « tu prétends avoir la foi, moi, je la mets en pratique. Montre-moi donc ta foi qui n’agit pas ; moi, c’est par mes actes que je te montrerai ma foi ».

Notre propos voudra définir les champs communs, les allers-retours entre soins et spiritualité chrétienne et par voie de conséquence la force du mot « et » de notre titre nous invitant à toujours plus d’unité, mais aussi une invitation à bien distinguer ces deux termes qui ne recouvrent pas la même réalité. En effet, notre foi chrétienne ne se résume pas au soin de l’autre et le soin n’est pas l’apanage exclusif de la foi chrétienne. D’autres religions ou des hommes sans spiritualité, remplis d’humanité sont aussi capables de soins. Nous le verrons dans notre propos, et ce sera la pointe de notre réflexion, la spiritualité chrétienne nous invite à un autrement, à un autre possible qui dépasse le champ du savoir, de la technique.

Nous devons rendre grâce en tant que soignants, de par la mission qui nous est confiée au près de nos frères, êtres de chaire, de pouvoir approcher la réalité totalement incarnée de notre foi, donc dans sa plénitude. Notre foi, notre espérance s’y trouvent certes émondées par les épreuves rencontrées mais aussi nourries par ces dernières car elles viennent modeler l’intimité de l’homme dans toute son acceptation charnelle et spirituelle. « Au commencement, le Verbe s’est fait chaire ».Notre foi chrétienne est la seule religion à vouloir revendiquer cette incarnation et y trouver son assise et son expression. Elle justifie ainsi de la primauté de la charité, de l’agapè dans notre vie chrétienne, foi et espérance ne s’en trouvant que secondes. Ainsi porter soin à notre prochain doit s’inscrire dans une cohérence, un dessin, une unité qui nous dépassent, qui nous portent, nous ajustent.

Autre nouveauté scandaleuse pour certains de notre Foi : croire en un Dieu Trinitaire. Un Dieu unique en trois personnes. Un Dieu qui fait son unité dans un mouvement d’amour incessant entre trois personnes. Nous sommes invités à méditer ce mystère qui ne cesse de se laisser découvrir, de s’auto-communiquer, de se révéler dans la trivialité de nos vies respectives. La démarche de soin doit revendiquer ce mouvement, cette dynamique trinitaire.

Dès ces premières réflexions préliminaires vous comprenez l’étendue du thème qui est proposé à notre réflexion et qui vient embrasser toute notre humanité. Ainsi, je ne viens que vous apporter quelques pistes d’exploration, des questions en écho à celles que vous vous posez dans votre exercice professionnel.

« Vas, ta foi t’a sauvé ». Il n’est pas dit « Vas ta foi t’a guéri ». La foi sauve fait passer de façon irrévocable vers le vivant, sauve de la mort. L’action divine sauve, l’action humaine guérit. Elle peut sauver quand elle fait éviter au malade une issue fatale devant survenir à très brève échéance. Le mot « vas » renvoie à une notion de mise en liberté totale. Laissant entendre si tu vis librement de ta foi tu es sauvé.
Je vous propose deux grandes parties. Une première « de l’altérité à la liberté » : en quoi le soin est un lieu d’incarnation de notre foi, un lieu de révélation tourné vers la guérison. Et une deuxième, plus brève car nous ne pouvons passer sous silence le scandale de la souffrance : se tenir devant un mystère, confrontation souffrance et liberté, comment accompagner la souffrance. Nous sommes très souvent comme chrétiens interrogés sur cette question.

De l’altérité à la Liberté

Le soin est avant tout une présence. Comment cette présence à l’autre est source réciproque de liberté ?

Le soin est un chemin fait ensemble malade et soignant, un chemin balisé par quelques étapes. Altérité, connaissance, Foi, Agapè et enfin liberté graduent ainsi pas à pas, chaque fois un peu plus le lien de responsabilité réciproque entre soignant et soigné. Nous reviendrons sur cette notion essentielle de réciprocité. La liberté n’est-elle pas le but ultime du soin et de notre Foi ? Notre situation d’homme fondamentalement libre n’est pas t-elle pas celle d’homme responsable ? Liberté et responsabilité sont synonymes. L’une ne peut pas se comprendre, se vivre sans l’autre. Cette liberté vient dire tout le sens de notre humanité, de notre altérité, de notre spiritualité. Je vous renvoie à cette phrase de Saint Augustin qui dit toute l’essence chrétienne : « Aimes et fais ce que tu veux » ou encore « aimes et deviens qui tu es ».

Les progrès de notre situation matérielle, les progrès scientifiques et techniques de la médecine viennent redéfinir la notion de guérison et ses représentations. Quand vous relisez la Bible, les textes considèrent les malades d’une part et les non malades d’autre part, il n’y a pas d’autre catégorie, pas de graduation d’un état à l’autre. Aujourd’hui, cette distinction aussi radicale ne peut plus être évoquée. Le développement du nombre croissant de malades chroniques qui tiennent toute leur place dans la société vient nous interroger sur cette notion de guérison. Les représentations de la guérison s’en trouvent totalement renouvelées.

Ainsi, le souhait le plus ardent du malade est de ne pas se sentir exclu de la communauté des hommes, ne pas être le pestiféré, le lépreux qui a une faute à expier. La liberté ne se réduit pas au simple libre choix comme voudrait nous le faire admettre la société consumériste qui est la nôtre. Rester libre, c’est vouloir rester responsable de soi même, de son prochain, continuer à appartenir pleinement à une communauté et y jouer sa partition. En un mot, le malade veut être toujours et encore regardé comme un homme dans toute sa dignité, son humanité. Il n’ y a pas plus terrible que ce regard qui change, qui in fine vient modifier l’image que le patient porte sur lui-même et la place qu’il peut tenir dans la société. Avant toute altérité, le regard de l’autre me dit que je suis diminué donc différent, à part. Le patient dans sa définition première n’est-il pas celui qui cherche à inscrire cet évènement maladie, cette rupture dans sa biographie, dans un souci d’ajustement, de cohérence, d’unité d’une histoire qui se poursuit? Travail intime, indicible, expérience qui ne peut être partagée, souvent vécue dans la solitude, le silence de la nuit mais que nous devons en tant que soignants accompagner malgré ce « vide médian », pour reprendre l’expression du poète François Cheng, espace présent entre deux êtres, entre le malade et nous soignants. « Vide médian » où nous devons percevoir le souffle de l’Esprit. C’est à ce niveau que se joue l’essentiel de notre propos. Ce vide est ce lieu commun que doivent habiter ensemble soin et spiritualité.

Le premier mot qui définit aussi bien le soin que la spiritualité est le mot altérité, la mise en relation avec l’autre. L’altérité m’invite à sortir de ma propre individualité. Ce mouvement vers l’autre me fait passer du statut d’individu à celui de personne. Je peux ainsi connaître l’autre en le fréquentant. Cette connaissance nous ouvre le champ du possible.

Je vous invite à répondre à la question suivante : pourquoi deux verbes différents savoir et connaitre, ou encore savoir et connaissance, deux notions vécues par nos contemporains comme superposables qui constituent l’indispensable condition à toute altérité ? Notre société mercantile, factuelle a tout intérêt à ce que ces deux notions soient superposables. 1+1 = 2, il ne peut en être autrement, toute autre réponse est fausse. Toute autre réponse relève de la fantasmagorie. Ainsi, la primauté du savoir est confirmée, démontrée. Nous sommes dans une dynamique de simplification créatrice contrôlée. Les choses sont ainsi faites, il ne peut en être autrement. Pourquoi aller chercher ailleurs ? L’anglais ne rassemble t -il pas ces notions sous un même verbe « to know » ? En français, nous faisons appel à deux verbes différents : savoir et connaître. Cette distinction me paraît opérante pour explorer ces deux champs distincts.

Nous pouvons noter qu’en français le mot « savoir » recouvre deux réalités comme si il n’existe pas d’espace entre elles : l’action de savoir soutenue par le verbe savoir et l’objet su défini par le mot savoir. Le savoir constitue un tout autonome, cohérent, se suffisant à lui-même. Ainsi, l’objet su peut exister par lui-même en dehors de toute relation. Il est autonome. Le savoir scientifique par exemple, même en expansion continue, vit par lui-même, pour lui-même, contenu dans un espace certes immense mais toujours défini, donc fini. Ce savoir est, indépendamment de la relation que je peux avoir avec lui. Par exemple, je sais que vous êtes à cette place. Cette notion est possible en dehors de toute relation que je peux avoir avec vous. Je ne suis pas impliqué dans le fait que je sache ou que d’autres sachent que vous vous teniez à cette place. C’est une réalité indépendante de moi, en dehors de moi n’impliquant pas ma responsabilité. Ainsi, le savoir (l’action comme l’objet) est un outil. J’ai tout au plus le libre choix de l’utiliser ou non. Il m’est extérieur.

Ainsi, nous pouvons dire que l‘individu, se définissant en dehors de toute altérité, sait. Il se contente du savoir, il n’a pas besoin de la connaissance c’est-à-dire de la fréquentation de l’autre. A l’inverse, la personne inscrite dans une altérité si elle use elle aussi du savoir, se construit essentiellement avec le verbe connaître dont la racine en vieux français renvoie au verbe fréquenter. Aussi, le verbe connaître accepte de nombreux synonymes renvoyant à cette mise en lien et aussi à l’expérience, la pratique, l’usage. A l’inverse du savoir, la connaissance renvoie à une appropriation symbolique, à une mise en lien. Nous pouvons dire que le savoir est un outil au bénéfice de la connaissance. Avant de vous connaître il faut que je sache où vous êtes.
Avant de connaître sa maladie, la malade sait qu’il est malade. Connaître sa maladie ne sera possible qu’à partir de cet instant. Elle sera connue par sa fréquentation de chaque minute et dans la solitude de la nuit. L’homme est donc à la fois sachant et connaissant.

Nous retrouvons le grand débat plus général entre Foi et Raison. Le savoir est révélé par le travail de la raison. La connaissance se révèle : l’objet de la connaissance autorise sa révélation, se donne dans une altérité.

Le savoir scientifique triomphant nous pousse vers la « protocolisation » du soin répondant à une évaluation objective, opposable de ses résultats avec une modélisation quantifiable préalable de la relation soigné – soignant. L’exercice de la médecine occidentale dominante nous tire vers le savoir à travers l’ « evidence base medecine » soutenue par des liens de causalités objectifs, opposables.
Exemple : la posture des jeunes médecins aux urgences aspirent à pouvoir maîtriser leur pratique professionnelle par le savoir, non encore capables d’une mise à distance de ce dernier. Leur objectif premier est de savoir de quoi souffre le malade, porter un diagnostic anatomo-clinique y répondre, mais pas de connaître le malade. Nos meilleurs étudiants sont ceux qui perçoivent cette question de fond et tentent de l’intégrer dans leur relation au malade.

Le savoir enferme dans un espace fini, défini, la connaissance ouvre à l’inattendu, au possible, à l’autrement créatif.

La connaissance est de mon propre fait, de ma volonté de fréquentation. La connaissance relève de ma propre liberté à vouloir m’impliquer dans une altérité. Le savoir demande seulement à être acquis, il ne s’agit que d’une activité intellectuelle. Le mot connaissance renvoie à la fois à l’acte de connaître mais aussi à la chose connue tant dans sa représentation que dans sa compréhension. Vouloir connaître, c’est vouloir comprendre une globalité, un ensemble, une réalité qui nous échappe. Connaître revient à fréquenter un objet, une personne sans vouloir le posséder. A l’inverse, le savoir par définition contenu dans un ensemble fini se laisse posséder, a vocation à être possédé. L’élève qui sait sa récitation pourra aussi vous dire qu’il la possède. Celui qui connaît sa récitation pourra ne pas vous la réciter parfaitement, il ne la possède pas. Pour le savoir, l’inattendu est interdit de cité. Pour la connaissance, l’imprévisible est possible. La personne fréquentée, connue peut laisser révéler un aspect de sa vie, de sa personnalité. Nous sommes dans une créativité sensible accueillant librement l’inattendu.

En guise de synthèse pour bien déterminer la gravité des enjeux de ce débat, et de poursuivre plus avant nos réflexions, je citerai Philippe de Woodt :
« La science n’est qu’un des modes de connaissance dont disposent les hommes. Elle nous livre que la part du réel, qu’elle peut découvrir par ses méthodes d’observation, de mesures et d’expérimentation. Elle ne dit rien sur la singularité des personnes, rien sur le sens et les finalités, rien de sérieux sur la souffrance, le mal, la destinée. Ces questions essentielles échappent à son domaine. Elles sont pourtant au cœur de nos choix… » (Ph. de Woodt, Lettre ouverte aux décideurs chrétiens en temps d’urgence, DDB, 2010, p. 48)
Michel Serres, dans son livre « Rameaux », abonde dans le même sens et nous rappelle que le savoir relève de l’intelligible et que la connaissance ouvre cet intelligible au sensible.
« La démonstration, la raison…le format laissent un résidu, en tous lieux, naturels et culturels. Le réel s’éparpille autour du rationnel. Le concret dépasse l’abstrait. Les cas singuliers excèdent la règle. La chair devance la biochimie. La personne et sa singularité dessinent des paysages variés tels le particulier, à son tour, enseigne au médecin et au magistrat. » (Michel Serres, Rameaux, Le Pommier, 2007, p.36)
Mais la gravité, l’acuité de la situation dans la quelle nous sommes ne se trouve t-elle pas dans cette réflexion de Philippe de Woodt :
« La science et les techniques avancent plus vite que notre réflexion politique, juridique, éthique. Elles nous posent des questions nouvelles qui nous prennent complètement au dépourvu.» (Ph. de Woodt, op cit)

De la connaissance à la Foi.

Comme nous venons de le voir, le savoir nous dit 1+1 = 2. Il ne peut pas scientifiquement en être autrement. Le savoir nous permet de mettre en lien de façon rationnelle la cause et son effet. Il nous cantonne dans l’attendu, dans le prévisible, n’embrassant qu’une part finie de la réalité. Nous sommes tous d’accord que ce savoir ouvre la voie du soin. Le malade se sait malade. Le médecin par des éléments objectifs cliniques, para-cliniques saura de quoi souffre son patient. Notre question : le savoir est-il suffisant pour prendre soin ? La connaissance, la fréquentation de l’autre va être nécessaire pour prendre soin et recevoir le soin prodigué.
En effet, cette prise en charge a pour objet d’ouvrir le malade à un autre possible que sa maladie.

La connaissance nous ouvre à un autre possible. Vous ne dites pas : je sais untel. Mais : je connais untel. Ainsi, je suis en relation avec autrui, je sais que c’est un homme ou un femme, éléments objectifs, opposables. La fréquentation de cette personne, la connaissance de cette personne ne cessera de permettre à cette dernière de se laisser révéler. D’où l’expression : « je connais Untel, mais je ne sais pas tout de sa vie ». Ainsi, la connaissance ouvre donc bien à l’inattendu, au non maîtrisable.

Je peux connaître l’autre, être en relation avec lui sans que cela préjuge de la qualité de cette relation. Dans une relation de soin comme dans d’autres relations humaines, la confiance faite à la personne n’est pas le fruit de ma propre volonté, elle s’impose à moi. C’est un acte de liberté mais aussi un acte qui s’impose à moi de par sa propre autorité. Cette autorité m’autorise cette liberté vers une ouverture à l’autre. Certains malades parlent d’un abandon, d’un lâcher prise. Ce pont jeté vers l’autre construit une mise en lien. Ainsi, le mot liberté renvoie à celui de responsabilité, il est aussi lié au mot Foi. En effet, il faut être parfaitement libre pour accueillir avoir foi en l’autre, ou le tout autre. Il nous faut être libérés de nos préjugés, nos égoïsmes et autres faiblesses. Foi et liberté se trouvent mis en lien. La connaissance de l’autre peut être refusée. J’ai la liberté de choix de refuser cette fréquentation de l’autre. La refuser c’est m’interdire toute liberté, toute responsabilité, toute humanité, et m’enfermer dans une « non-altérité ». Ma liberté première : connaître, fréquenter mon frère et en donc être responsable. Comme le dit Levinas : « je me dois à toi ». Le refuser, c’est m’enfermer dans une posture totalement individuelle, me réduire au statut d’individu incapable de toute altérité.
Ce premier mouvement de confiance vient initier la relation de soins.
Il nous faut remarquer le fait que la première encyclique de notre Pape ait traité de cette charité, cette agapè signifiant ainsi la place première qu’elle tient dans notre vie de chrétienne, comme source essentielle et vivifiante. Cette valeur théologale première, n’est-elle pas énoncée dans le premier des commandements : « tu aimeras ton prochain comme je vous ai aimé ». Foi et Espérance ne sont que secondes, conséquentes.
La spiritualité chrétienne ne relève pas du savoir de la loi, de son application littérale, mais de la fréquentation de Dieu, de la connaissance de Dieu. Ainsi, le premier point commun entre soin et spiritualité chrétienne est cette altérité confiante qui doit s’inscrire dans un mouvement trinitaire.

Prenant soin de ce corps nous avons la chance de nous approcher du cœur, de l’unité cohérente de notre foi.
En effet, la spiritualité chrétienne est la seule qui soit incarnée, « Au commencement, le Verbe s’est fait chair ». Notre corps est une réalité de toutes les minutes, de chaque minute. Le corps est le vecteur de notre relation à l’autre. La Résurrection de la chair en un corps glorieux inimaginable, inconcevable, indicible, ce corps accompli est l’écrin indissociable de la vie éternelle de notre âme dans une intimité parfaite. La vie de foi ne nous invite pas à nous échapper de cette incarnation, à fuir cette humanité, bien au contraire elle nous intime l’ordre de nous y plonger plus encore. La Foi chrétienne nous invite à honorer notre corps. Ne sommes nous pas le corps du Christ ? Cette incarnation est le deuxième pont liant soin et spiritualité chrétienne. Mais celle-ci nous invite à dépasser le simple soin du corps pour le inscrire dans une altérité toujours renouvelée.
L’Agapè, prendre soin de l’autre c’est le considérer comme aussi aimable que moi aux yeux du Père et à ce titre je me dois à lui. Je dois me mettre que je sois soignant ou malade à hauteur d’homme, à hauteur de cœur. Je dois être ajusté. Le soin juste est mis en œuvre par un soignant et un malade ajustés l’un à l’autre.
Le jésuite, théologien François Euvé a écrit une thèse qui a pour titre « Le Jeu de la Création ». Le mot doit être entendu dans ses différentes acceptations. Ce mot jeu rend la Création possible. Le jeu entre les deux acteurs, cet ajustement entre deux partitions permet qu’elles puissent se soutenir, s’accompagner dans une interprétation créatrice libérée. Ne parle t-on pas aussi du jeu pouvant exister entre deux pièces mécaniques, biologiques au autre ? Ce vide médian toujours présent laisse place à une certaine autonomie, une liberté, vide médian qui laisse une place à l’esprit pour s’exprimer et faire son oeuvre. Cette imperfection qui lie ces deux pièces est aussi lieu de créativité, de liberté, d’épanouissement, d’ouverture vers un autre possible. Le jeu dans son acceptation ludique a lui aussi une valeur créatrice imprévue, non attendue.

De la Foi à la Liberté

Les progrès de notre savoir et par conséquent de nos techniques viennent remettre en cause les termes de la définition du mot guérir. Durant des siècles, la guérison s’entendait comme retour ad integrum. L’évolution de la maladie répondait à une loi du tout ou rien. Certaines maladies chroniques comme l’épilepsie et les pathologies psychiatriques faisaient sortir les malades de la communauté car soumis à des forces occultes malfaisantes ou bien devant expier une faute grave. Ainsi, ces malades étaient considérés comme incapables de pouvoir s’inscrire dans une altérité ajustée, faire partie de la communauté. Quid aujourd’hui des maladies chroniques ? Le savoir scientifique a permis de faire évoluer ce paradigme. Les représentations médicales, sociales spirituelles de la guérison s’en trouvent aujourd’hui renouvelées. Guérir : remettre en liberté. Guérir : remettre l’autre en capacité d’altérité, de connaissance de l’autre, de fréquentation de l’autre. Le malade connaissant, fréquentant sa maladie peut s’ouvrir à une nouvelle altérité, une nouvelle liberté, une nouvelle responsabilité.
Ainsi le soin navigue entre savoir et connaissance tout comme la spiritualité chrétienne est en tension entre foi et raison. C’est cette tension qui nous permet d’être, de rester en mouvement, en éveil. Le mot « et » de notre titre est le lieu de cette tension qui nous met en mouvement, qui est source de vie, qui est aussi un lieu d’échec potentiel.

Guérir : passer de se savoir malade à se connaître comme malade. Le malade devient progressivement un patient qui retrouve un nouvel espace de vie à partir de sa maladie. Ainsi nous percevons bien que le savoir ne s’inscrit pas dans une temporalité : je sais ou je ne sais pas. A l’inverse, la connaissance s’inscrit dans une temporalité pour se construire, dans une histoire, dans une biographie. Pour reprendre la métaphore du « Petit Prince » de Saint Exupéry il faut du temps pour s’apprivoiser. Je ne connais pas mon ami d’une seconde à l’autre ; les années passant je commence à le connaître. Si je sais que je suis malade, que je suis épileptique par exemple je connaitrai, j’apprivoiserai ma maladie que dans sa fréquentation donc avec le temps, dans un à venir, dans un autre possible. Savoir et connaissance ne sont pas antinomiques. Ils sont complémentaires. Se savoir malade précède la connaissance de cette maladie. Un savoir scientifique ne peut être valorisé que par sa mise en lien, par une connaissance du champ étudié, par son incarnation. Le savoir nomme, définit, la connaissance met en lien, en mouvement. Pour mémoire dans le premier chapitre de la Genèse, le Créateur nomme, sépare, fait œuvre de savoir pour pouvoir mettre en lien, en mouvement cette Création dans une connaissance, une fréquentation. Ainsi, nous percevons bien que le soin stricto sensu limité par le champ de la maladie, ayant pour finalité un résultat bénéfique objectif relève du savoir. L’inscription de cette maladie dans une biographie lui donnant tout son sens relève de la fréquentation, de la connaissance, en un mot du prendre soin. Devenir patient, unifier sa vie, demande du temps. Ainsi la guérison relève tout autant de l’intelligible que du sensible.

Le soignant doit accompagner cette mise en liberté, objectif de la guérison de son patient. Il doit accepter que son savoir puisse être mis à distance par ce même patient qui souhaite prendre ses responsabilités. Il doit faire dialoguer la raison de son savoir qui se veut scientifique et la connaissance de son malade qui l’invite à des déplacements grâce au vécu minute après minute avec cette maladie. Les malades ne sont pas toujours dociles ou « compliants » pour employer l’expression consacrée. Le soignant doit ainsi faire œuvre de dé- appropriation pour rester ajusté à hauteur d’homme. Il doit être conscient que cette connaissance, cette fréquentation des malades l’invite à une recomposition de sa propre personne. Mais, son plus gros handicap est son savoir scientifiquement opposable, totalement désenchanté, régi par des liens de causalité. Il peut s’y enfermer pour espérer se protéger, avec le risque d’empêcher ainsi son malade de trouver sa nouvelle façon d’être au monde. Ainsi, contraint dans son savoir, non ajusté à son patient, le soignant perd sa liberté et n’exerce plus sa responsabilité d’homme. Le soignant doit prendre sa liberté pour accompagner son malade sur le chemin de la connaissance, de la liberté. Ainsi, si ce le colloque médecin malade est la rencontre d’une science et d’une conscience, c’est surtout la rencontre de deux libertés. Le médecin se doit de réunir les conditions pour qu’adviennent ce souffle de vie et son Esprit dans le vide médian situé entre lui et son patient que nous évoquions précédemment, ainsi que cette réciprocité à hauteur d’homme. La foi dans la relation qu’il a avec ses soignants a permis à ce malade à devenir patient. Ainsi, cette ouverture vers l’espérance qui le meut et l’ouvre à la liberté.

Pour mener ce parcours du combattant qui peut s’égrainer sur une durée non maîtrisable, parsemée de doute, de révolte, le soignant et le patient ont besoin d’outils, d’aides. J’en identifie trois.

La Fidélité : véhicule tout terrain de la traverser du désert, de la nuit. La maladie, vécue comme une injustice, interprétée comme un silence de Dieu, un abandon, une nuit comme souvent exprimée dans les Ecritures. Les grands mystiques comme Sainte Thérèse de Lisieux, Mère Teresa ou d‘autres nous disent tous que cette traversée du désert est là pour nous émonder mais aussi pour être le lieu de cette rencontre, cette fréquentation, cette connaissance de Dieu. Le livre de Job nous décrit cette traversée avec tous les sentiments qui la jalonne comme la colère, la révolte. Le Pasteur Antoine Nouis, dans Réforme du 30 août 2012, nous rappelle que « la nuit fait partie du programme ». Fidélité voici notre bâton de pèlerin : Fidélité en notre humanité, fidélité en notre foi, fidélité en notre patient, fidélité en soignants et aussi fidélité dans notre savoir.

L’Humilité : accepter nos limites, faire advenir la liberté, rendre possible notre responsabilité.
L’altérité dans l’acte de soins se trouve contrainte dans nos insuffisances humaines, scientifiques, techniques ou sociales. Nous ne pouvons comprendre les insuffisances du patient qu’à partir du moment où nous avons pu commencer à accepter les nôtres propres. Ainsi nous devons faire preuve d’humilité : accepter ses propres limites pour comprendre celles de la personne soignée.
Cette humilité nous permet de considérer ce malade comme aussi aimable que moi aux yeux du Père. Me voilà en tant que soignant pris dans un mouvement d’ajustement à l’autre dont je ne peux pas m’échapper. Je ne viens pas soigner le visage du Christ mais celui de mon frère dans le Christ sous le regard du même Père.
Cette humilité permet de mettre à distance un savoir qui se veut absolu donc totalitaire pour introduire un jeu créatif, libérateur ouvert à un autre possible. L’enjeu : créer un espace de liberté dans ce cadre défini du soin. Cette humilité nous permet de poursuivre ce chemin de fidélité.

Troisième aide, l’Ethique : Présente dès le premier cri de souffrance comme nous le rappelle encore Philippe de Woodt. Le grand danger actuel est une « protocolisation » de l’éthique, rendant synonymes la règle et l’éthique. Si l’éthique dessine une ligne à partir de laquelle une difficulté surgit, elle ouvre, comme une injonction, à une remise en question. En tant que chrétiens, nous devons pouvoir aussi mobiliser une éthique de la transgression pour rester ajustés à l’homme malade qui nous est confié. Nous ne devons jamais oublier la pertinente impertinence du message chrétien qui doit faire toute la lumière sur notre plus profonde humanité, impertinence appelée de ses vœux les plus chers par le théologien Maurice Bellet. Dans un système scientifiquement instrumentalisé, l’éthique n’a plus lieu d’être, tout étant mis en lien d’une causalité parfaite 1+1 = 2. La question soulevée par la démarche éthique doit être un lieu de créativité, de responsabilité autrement dit de liberté nous ouvrant vers un autre possible.

Le soin doit être considéré comme un lieu de Révélation. Le besoin premier de tout homme est d’être reconnu comme ayant une valeur spirituelle. L’homme est avant toute chose un être spirituel.
Comme patient la maladie me révèle à moi-même, me fait découvrir les faces cachées de ma personnalité, ses forces et ses faiblesses. La réciproque est vraie pour le soignant.
Dans cette relation de soin, dans ce vide médian existant entre le soignant et le soigné, l’Esprit du Père peut venir éclairer cette altérité, la révéler dans une liberté, une responsabilité accomplie, nous approchant du mystère de la Trinité présent dans la trivialité de nos vies.
L’amour du Père ne peut se révéler qu’à travers des hommes qui cherchent à incarner son amour son espérance. Nous nous construisons à partir de notre relation à l’autre, au Tout Autre. Nous sommes responsables de cette quête chaque jour renouvelée. Nous devons nous laisser décentrer par le mystère de l’autre comme nous le rappelle Lévinas.

Souffrance et Liberté

Que faire du mot souffrance, gouffre d’incompréhension ? Quelle est sa signification ? Soignants et soignés se trouvent démunis de la même manière.
Notre première partie de cet exposé avait pour ambition de mettre en évidence les liens profonds existant entre soin et spiritualité chrétienne. En quoi le soin peut révéler la nature profonde de la spiritualité chrétienne ? Nous avons essayé de répondre au comment, d’identifier un certain nombre de questions aux quelles nous sommes confrontés comme chrétiens. Mais nous n’avons pas abordé la question autrement plus difficile du pourquoi. Cet aspect du soin n’est pas annexe. La prise en compte du pourquoi de la souffrance est centrale dans la démarche de guérison. Elle ne peut pas être esquivée avec les artifices d’une théologie sulpicienne, surannée de la souffrance. Le dolorisme n’apporte rien de bon.

La toute première quête du souffrant sortir de l’enfermement du savoir du spécialiste, du soignant par une réappropriation symbolique cherchant à donner du sens. Ainsi le malade va vouloir répondre à deux pourquoi. Dans une posture qui se veut bien cartésienne, logique en adéquation avec le savoir du soignant, en adéquation avec les attendus sécularisés de notre société, nous allons vouloir répondre au pourquoi en un mot, pourquoi moi ? Etant entendu, si je trouve l’erreur, la faute, le facteur de risque je pourrai me guérir en la corrigeant. Job nous a bien montré l’erreur fondamentale d’une telle démarche pleine d’orgueil uniquement tournée vers soi, enfermée sur sa souffrance. Je veux savoir qu’elles sont mes erreurs, quels sont ma responsabilité et le prix à payer. Voilà une posture bien moderne uniquement basée sur des liens de causalité, nous renvoyant au 1+1=2, au savoir sans appel. Car l’urgence est ailleurs, il nous faut recréer du lien. Il nous faut répondre au pourquoi mais en deux mots au « pour quoi faire », quelle nouvelle route, quel nouveau sens. Le mystère du mal peut attendre ! L’objectif est de reconquérir notre espace intérieur pour limiter ce mal à sa fonction de cairn et reprendre notre liberté, notre responsabilité vers un autrement. Le patient qui dit je suis souffrant voudra pouvoir dire j’ai mal. Autrement dit sa démarche sera de mettre cette souffrance à distance, ne plus la laisser envahir tout son être. Une mise à distance pour une mise en perspective, une mise en liberté, une mise en altérité. Comment relire ma biographie à la lumière de cet évènement ? Mais que dois je dire à cette cousine de 40 ans, mère de quatre enfants qui se bat contre un cancer du sein qui après 7 ans de bataille métastasé de façon disséminée ? Nous voilà devant un mystère.
Notre foi totalement incarnée et animée d’un mouvement trinitaire nous demande de ne pas parler d’elle mais de parler à partir d’elle. Il nous est demandé d’être totalement présents àl’autre avec toute notre humanité.

En Conclusion

La guérison est de remettre chaque jour l’Alliance au cœur de ma vie me permettant de dire ma liberté commence avec celle de l’autre que je sois soignant ou soigné. Pour ce faire je vous invite à discerner, en toute liberté avec le théologien allemand protestant Dietrich Bonhoeffer, les « réalités avant dernières » et les « réalités ultimes ».
En conclusion, malgré l’évolution de notre société et la volonté de maîtrise absolue de certains, notre activité reste un art ouvert au sensible, au possible, à l’inconnu qui nous échappe. Sommes nous dans une démarche « scientifiste » bien bordée rassurante ou devons nous nous inscrire dans une démarche humaniste, acceptant de vivre avec humilité, fidélité tous les points d’interrogation ? Le barbare n’est-il pas celui qui a perdu son humanité, pour reprendre la réflexion de JF Mattei ?

Pourquoi, ou plutôt, “est-ce nécessaire” d’utiliser un langage si compliqué et philosophique pour parler “simplement” de la vie, de ce qui fait aussi partie de la réalité de certaines vies : la maladie, le soignant, l’accompagnant ou volontaire réfèrent. La longévité et non l’Éternité… En fait je crois juste que le monde a peur. Peur d’être différent, bafoué, oublié. Oui, on oublie “l’Homme humain” au profit des chiffres, des ratios, des statistiques de réussite, d’échec. 

Mais ce n’est pas non plus une généralité, je parle par expérience et suis sûre que le malade joue un rôle important dans ce qu il donne et reçoit.

C est vrai que la société actuelle veut nous “patientaliser”. Nous sommes considérés à la fois comme malades rentables et défendables, ou non, cela dépend de notre état… Alors notre volonté de retrouver la vie en acceptant de se laisser porter, d’être mis à nu, d’être dépendant est primordiale, nécessaire. Être acteur de son état et tenter, à travers cette douloureuse expérience, de lui donner un sens en s’effeuillant, en allant à l’essentiel. Le lien entre l’instant présent et l’éternité… Être libre de retrouver une belle vie même si elle est différente, affaiblie. Tout a un sens et celui qui accompagne doit rester dans une dimension positive, réaliste et profondément humaine. Il doit aussi respecter le rôle du soignant, son savoir et aussi la connaissance que ce dernier a de son patient.

Marie Andrée de Valicourt, patiente traitée pour un cancer.

Philippe de Woodt, Lettre ouverte aux décideurs chrétiens en temps d’urgence, DDB, 2010.
Michel Serres, Rameaux, Le Pommier, 2007.
François Cheng, le Vide médian, Albin Michel, 2004.
Maurice Bellet, La quatrième hypothèse, sur l’avenir du christianisme, Desclée de Brouwer, 2001
François Euvé, Penser la Création comme jeu, Cerf, 2000.

La Gestation pour autrui. Une violation des droits de l'Homme et de la Dignité .

Par Claire de La Hougue, Docteur en droit, avocate.
Conférence donnée au Conseil de l’Europe puis au Parlement européen en avril et juillet 2012.
SOMMAIRE

I- Présentation générale de la gestation pour autrui
Définition
A. Législation en Europe
Interdiction
Tolérance
Seuls deux pays de l’Union européenne autorisent expressément la gestation pour autrui
B. Problèmes juridiques
II- Consequences concrètes
A. Sur les enfants
L’intérêt de l’enfant
La vente d’enfants
B. Sur les femmes
Les droits des femmes
Sélection des femmes (donneuses d’ovocytes et mères porteuses) :
Surveillance des femmes
Exploitation des femmes
I- PRESENTATION GENERALE DE LA GESTATION POUR AUTRUI

Définition

La gestation pour autrui est un contrat par lequel une femme accepte de porter un enfant pour quelqu’un d’autre.

Un contrat « est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent, envers une ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose » [1]. Dans le contrat de gestation pour autrui, il y a pour la femme une obligation de faire (porter l’enfant) et une obligation de donner (le remettre à autrui). Le « quelque chose » objet du contrat est donc l’enfant or, selon le droit civil, « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions » [2]. L’enfant est donc considéré comme dans le commerce, autrement dit comme une marchandise.

La femme, quant à elle, est utilisée par le ou les mandataires comme une machine permettant le développement d’un fœtus, c’est-à-dire comme un incubateur. Dans l’affaire Baby M au New Jersey en 1988 [3], le Dr Lee Salk, pédo-psychologue de renom, l’a ouvertement reconnu, précisant à la barre que les époux n’avaient pas eu recours à une mère de substitution mais à un utérus de substitution.

Ni la femme ni l’enfant ne sont traités comme des personnes humaines, ils sont traités comme des objets. Ceci est manifestement contraire à la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine, pour reprendre les termes du préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Traiter une personne comme un objet est la caractéristique de l’esclavage.

Dans un contrat de gestation pour autrui, la femme loue son corps, ou au moins une partie, son utérus. Louer son corps est la caractéristique de la prostitution.

Ces éléments laissent augurer de liens entre la gestation pour autrui et la traite des personnes. La gestation pour autrui, généralement présentée comme une œuvre altruiste et généreuse, une forme de procréation médicalement assistée qui permet à des couples stériles d’avoir des enfants, ouvre en réalité la porte à toutes sortes d’abus car elle ne respecte pas la dignité humaine des personnes.

Comme il n’existe pas encore de dispositions de droit international sur la gestation pour autrui, il est nécessaire de se référer à d’autres traités applicables à des situations comparables.

L’enfant peut soit être conçu par la mère porteuse au moyen d’une insémination artificielle, avec le sperme du père mandataire ou celui d’un donneur (elle est alors la mère génétique et biologique de l’enfant), soit être implanté dans l’utérus de la mère porteuse après fécondation in vitro. Dans ce cas, l’embryon peut avoir été créé avec les gamètes des deux parents contractants, de l’un d’entre eux et d’un donneur, ou de deux donneurs. L’enfant issu d’une gestation pour autrui peut donc avoir jusqu’à six parents : la mère génétique (donneuse d’ovocyte), le père génétique (donneur de sperme), la mère porteuse, son mari (présomption de paternité) et enfin les parents mandataires.

A. Législation en Europe

Interdiction

Dans la majorité des pays, la gestation pour autrui est interdite soit expressément, comme en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Finlande, soit à travers les dispositions relatives en particulier à la filiation et à la procréation médicalement assistée. L’interdiction de cette pratique n’est pas liée au caractère « progressiste » ou « conservateur » de ces pays – puisqu’on y trouve aussi bien outre ceux déjà cités, des pays comme la Norvège, la Suède, l’Autriche, la Suisse, la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie ou l’Irlande – ni à la législation sur fécondation in vitro. Par exemple, la fécondation in vitro avec donneur est interdite en Allemagne et Italie mais autorisée en France.

Même si une très large majorité des pays d’Europe interdit la gestation pour autrui, il existe une forte pression en faveur de sa légalisation et des projets de loi en ce sens ont été déposés dans plusieurs pays.

Tolérance

Certains pays, tels que Belgique, Pays-Bas et Danemark, sans autoriser expressément la gestation pour autrui, la tolèrent à travers la procréation médicalement assistée et en encadrent les conséquences. La filiation est alors établie en utilisant l’adoption mais un lien génétique entre les parents mandataires (ou l’un d’eux) et l’enfant est exigé. La gestation pour autrui commerciale est interdite mais une compensation des frais est généralement acceptée, sauf au Danemark. Les contrats de gestation pour autrui ne sont pas exécutoires, ce qui signifie que, si la mère porteuse décide de garder l’enfant, nul ne peut la contraindre à le remettre aux mandataires.

Seuls deux pays de l’Union européenne autorisent expressément la gestation pour autrui

Il s’agit d’abord du Royaume-Uni, depuis une loi de 1985 (Surrogacy Arrangement Act) qui dispose que les contrats de gestation pour autrui ne sont pas exécutoires et que la gestation pour autrui commerciale et la publicité pour cette activité sont interdites. Au moins six semaines après la naissance, le tribunal peut rendre une ordonnance appelée « parental order » : un nouveau certificat de naissance est émis avec le nom des parents mandataires (Human Fertilisation and Embryology Act 1990, modifié en 2008). Une compensation raisonnable peut être admise, souvent de l’ordre de 7000 à 10.000 £, mais les tribunaux n’ont pas annulé des accords portant sur des sommes supérieures. De telles sommes n’ont de toute évidence aucun lien avec d’éventuels frais et constituent en réalité une rémunération.

Le second pays de l’Union européenne qui admet la gestation pour autrui est la Grèce. La mère mandataire doit avoir moins de 50 ans et être dans l’incapacité médicale de porter un enfant ; la mère porteuse (et son mari s’il y a lieu) doivent donner leur accord par avance et le tribunal rend une ordonnance avant la naissance. Ceci pose un sérieux problème au regard de la législation relative à l’adoption. En effet, tant la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (article 4) que la Convention européenne en matière d’adoption des enfants révisée (article 5) exigent notamment que le consentement des parents soit donné librement, par écrit, n’ait pas été obtenu moyennant paiement ou contrepartie d’aucune sorte, n’ait pas été retiré et que le consentement de la mère ait été donne seulement après la naissance de l’enfant. En outre, le droit international relatif à l’adoption interdit les contacts entre familles adoptive et biologique.

Plusieurs pays d’Europe de l’Est, issus de l’Union soviétique et membres du Conseil de l’Europe, autorisent la gestation pour autrui, même commerciale : Russie, Ukraine, Arménie, Géorgie, Azerbaïdjan [4]. En Ukraine, contrairement à la Russie, un lien génétique est en principe exigé entre les parents mandataires (ou l’un d’eux) et l’enfant. Comme en Russie, les noms des parents mandataires sont directement inscrits sur le certificat de naissance. En Russie, la mère porteuse ne peut être condamnée à remettre l’enfant, mais elle peut être condamnée à des dommages et intérêts si elle refuse de le faire, cas qui ne semble pas s’être encore présenté. En Ukraine, l’enfant est considéré comme « appartenant » légalement aux parents mandataires à partir du moment de la conception : la mère porteuse ne peut garder l’enfant. La gestation pour autrui commerciale étant acceptée, la mère porteuse peut recevoir non seulement une indemnisation correspondant à ses frais ou à sa perte de salaire, mais aussi une véritable rémunération qui varie entre 15.000 et 100.000 $.

Une nouvelle fois, ceci n’est pas conforme au droit international relatif à l’adoption. Outre l’interdiction de paiement ou contrepartie pour obtenir le consentement des parents, la Convention de La Haye (article 32) et la Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) article 17 précisent : « Nul ne peut tirer indûment un gain financier ou autre d’une activité en relation avec l’adoption d’un enfant ».

B. Problèmes juridiques

Comme tout contrat, les conventions de gestation pour autrui donneront (et donnent déjà) lieu à du contentieux, rendu plus complexe en raison de la matière. Parmi les principales causes de litige se trouve le changement d’avis de la mère porteuse si, s’étant attachée à l’enfant qu’elle porte, elle refuse de le remettre aux mandataires. Elle est protégée dans certains pays comme l’Angleterre [5] mais n’a aucun droit sur l’enfant dans d’autres comme l’Ukraine ou l’Inde. Aux Etats-Unis, dans l’affaire Bébé M, la mère porteuse – qui était aussi la mère biologique – a dû remettre l’enfant aux mandataires mais elle a obtenu un droit de visite. Il peut arriver aussi que les mandataires changent d’avis, par exemple lorsque le couple se sépare pendant la grossesse [6]  ou si l’enfant nait porteur d’un handicap. Plus personne ne voudra de cet enfant objet du contrat. De nombreuses questions se posent aussi en cas de problème pendant la grossesse. Par exemple, si un handicap est décelé à l’échographie, peut-on obliger la mère porteuse à avorter ? Au contraire, peut-on l’en empêcher si la grossesse met en péril sa vie ou sa santé? [7]  Si l’enfant est mort-né ou meurt peu après la naissance, comment résoudre les problèmes d’exécution du contrat ? La mère aura porté l’enfant, mais les mandataires ne le recevront pas. Devront-ils verser la somme convenue ? Si elle a déjà été versée, la mère devra-t-elle la restituer ?

En cas de gestation pour autrui internationale, de nombreux problèmes se posent également en raison des différences de régimes juridiques entre les Etats, notamment en ce qui concerne la filiation et la nationalité, ce qui a conduit la Conférence de La Haye de droit international privé à se pencher sur la question [8]. Par exemple, dans un pays qui accepte la gestation pour autrui, la filiation ne sera pas établie à l’égard de la mère porteuse mais à l’égard des mandataires. Ceux-ci ne pourront cependant la faire reconnaître dans leur pays si celui-ci juge la gestation pour autrui contraire à l’ordre public, comme la France, ou si la filiation elle-même est contraire à l’ordre public, par exemple si elle est établie à l’égard de deux personnes de même sexe, comme c’est possible en Californie. Ce refus de reconnaître la filiation est le seul moyen efficace pour les Etats de refuser la gestation pour autrui et de dissuader leurs ressortissants d’y recourir à l’étranger. Si la nationalité dépend de la filiation, elle ne peut être établie non plus et on se trouve avec des enfants apatrides et sans parents, ce qui est manifestement contraire à leurs droits (art. 7 et 8 de la Convention relative aux droits de l’enfant). La législation relative à l’immigration peut aussi empêcher de régulariser la situation, comme au Royaume-Uni où le parental order ne peut être rendu que si l’enfant est présent sur le territoire, or il ne peut y entrer sans lien reconnu avec les parents mandataires.

Plus tard ne manqueront pas de surgir en outre des litiges entre les enfants conçus par gestation pour autrui et leurs nombreux « parents », voire « grands-parents », qu’il s’agisse d’obligations alimentaires, de succession ou autre, voire des conflits avec les demi-frères et demi-sœurs, ou des questions dans d’autres domaines, par exemple concernant les empêchements au mariage entre (demi-)frères et sœurs ou frères et sœurs adoptifs. Brouiller ainsi la filiation suscitera inévitablement d’innombrables problèmes juridiques.

II- CONSEQUENCES CONCRETES

A. Sur les enfants

L’intérêt de l’enfant

En droit interne comme en droit international, le principe qui régit les mesures concernant les enfants est celui de leur intérêt. Ainsi, selon l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».

La première question à se poser au sujet de la gestation pour autrui est donc de savoir si elle est dans l’intérêt des enfants. Est-ce l’intérêt de l’enfant ainsi conçu d’avoir cinq ou six adultes qui revendiquent des droits sur lui ? Est-ce son intérêt d’être séparé de sa mère dès sa naissance ? Est-ce l’intérêt des éventuels autres enfants de la mère porteuse de voir qu’on dispose ainsi de leur frère ou de leur sœur ? La simple formulation de la question conduit à une réponse négative.

Toujours selon la Convention relative aux droits de l’enfant, « Les Etats parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité » (Article 8). Cette Convention précise que l’identité inclut la nationalité et que l’enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux » (article 7).

La filiation constitue une part essentielle de l’identité. Dans beaucoup de pays, on identifie les enfants par le nom de leur père (untel fils d’untel), ce qui apparaît dans de multiples patronymes y compris en Europe. Comment établir la filiation de l’enfant né de gestation pour autrui ? Qui sont ses parents ? Paternité et maternité sont chacune dissociées entre trois revendications possibles. En outre, comme en cas de fécondation in vitro ou d’insémination artificielle avec donneur, les dons de gamètes sont souvent anonymes. L’enfant est en conséquence privé d’une grande partie de son identité. Cela est source de souffrance pour l’enfant et peut entraîner des difficultés d’ordre psychique et psychologique [9]. La filiation permet à l’enfant de se situer dans la chaîne des générations, ce qu’il aura du mal à faire si cette filiation est incohérente, manifestement incompatible avec la réalité naturelle.

Par définition, en cas de gestation pour autrui, la mère abandonne l’enfant à la naissance pour le remettre au(x) mandataire(s). Cette séparation est cause de souffrance pour le nouveau-né et pour la mère porteuse. Aux Etats-Unis, des agences de gestation pour autrui prévoient un accompagnement psychologique et des groupes de paroles pour les mères porteuses pour les aider en vue de cette séparation. La femme, pour se protéger, garde une certaine distance avec l’enfant qu’elle attend, évite « d’investir » sa grossesse [10]. Pourtant, depuis plusieurs décennies, toutes les études montrent l’importance des liens créés entre la mère et l’enfant pendant la grossesse. L’enfant ressent toutes les émotions de sa mère. Il est impossible qu’il ne ressente pas cette distance, le fait d’être comme tenu à l’écart dans le sein maternel, là où la relation devrait être la plus fusionnelle, et qu’il n’en souffre pas. Il est difficile de prétendre que cela n’affecte pas son développement.

Certes, plusieurs de ces difficultés sont semblables à celles que rencontrent les enfants adoptés. Néanmoins, l’adoption a pour but de remédier à une situation existante et de donner une famille à l’enfant, dans son intérêt. Au contraire, par la gestation pour autrui on crée volontairement une telle situation, pour satisfaire le désir des adultes, ce qui pose un grave problème quant à la légitimité d’un tel choix. En outre, la situation est plus complexe que dans le cas de l’adoption, notamment parce qu’on ajoute parfois des donneurs de gamètes et toujours une dimension volontaire. Pour l’enfant, savoir que l’abandon était décidé par avance, qu’il a été conçu dans le but d’être abandonné (voire vendu) est une violence et une grande source d’insécurité puisqu’il a été traité comme un objet par les adultes qui avaient pour mission de le protéger, à commencer par sa mère.

Certaines difficultés fréquentes chez les enfants adoptés sont connues. Des études commencent à montrer l’impact de la fécondation in vitro sur les enfants ainsi conçus ; les mêmes conséquences apparaîtront prochainement pour les enfants issus d’une maternité de substitution, aggravées parce que la gestation pour autrui est plus complexe et conjugue les deux.

Des chercheurs s’interrogent aussi sur l’impact de la gestation pour autrui sur les autres enfants de la mère porteuse. Ils pourraient notamment souffrir d’un sentiment d’insécurité et d’anxiété en pensant qu’ils auraient pu être ainsi traités, de même que certains enfants dont la mère a avorté souffrent du syndrome du survivant. L’intérêt de l’enfant n’est manifestement pas la considération primordiale dans la gestation pour autrui.

La vente d’enfants

La gestation pour autrui à but lucratif, et dans beaucoup de cas la gestation pour autrui non-commerciale, est un contrat par lequel un enfant est transféré de la mère porteuse aux parents contractants pour une rémunération ou un autre avantage or, selon l’article 2a) du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants : « On entend par vente d’enfants tout acte ou toute transaction en vertu desquels un enfant est remis par toute personne ou tout groupe de personnes à une autre personne ou un autre groupe contre rémunération ou tout autre avantage ». La gestation pour autrui entre donc clairement dans le cadre de la vente et la traite des enfants prohibée par le droit international, y compris la Convention 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants.

Un simple coup d’œil sur internet montre que la gestation pour autrui est un marché en pleine extension : des centaines de cliniques et d’agences proposent leurs services en la matière pour les prix les plus variés, soit au forfait soit en fonction des options choisies. Aux Etats-Unis, il faut prévoir entre 100.000 et 150.000 $, environ la moitié en Russie ou en Ukraine et le quart en Inde. Certains promeuvent sans vergogne leurs mères porteuses « low cost » et des tarifs différents pour les ovocytes selon que la donneuse est indienne ou blanche [11]. On estime que le chiffre d’affaire annuel du marché de la reproduction s’élève en Inde à 400 millions de dollars [12] et 6,5 milliards de dollars aux Etats-Unis [13].

Les réseaux plus ou moins mafieux de vente d’enfants ne sont pas réservés aux pays en voie de développement. L’été 2011 aux Etats-Unis, un réseau de vente d’enfants a ainsi été démantelé. Il était organisé par des avocats qui prétendaient que les enfants concernés avaient été conçus pour des parents mandataires qui s’étaient ensuite désistés. Ces enfants étaient vendus 100.000 $ [14].

Les risques de traite organisée et de violence individuelle sont bien réels. Il y a quelques années, un homme célibataire aux Etats-Unis a obtenu un bébé par une mère porteuse : l’enfant est mort de violences répétées au bout de six semaines [15]. Faut-il rappeler que selon l’article 36 de la Convention relative aux droits de l’enfant «Les Etats parties protègent l’enfant contre toutes autres formes d’exploitation préjudiciables à tout aspect de son bien-être » ?

B. Sur les femmes

Les droits des femmes

La première question suscitée par les contrats de gestation pour autrui concerne la liberté du consentement de la mère : si la gestation pour autrui est commerciale, la mère n’est pas vraiment libre car elle a besoin d’argent, souvent pour nourrir sa propre famille. En Inde, en une seule grossesse elle peut gagner jusqu’à dix fois le revenu annuel de son mari [16]. Dans ces circonstances, le consentement n’est manifestement pas libre mais contraint par la nécessité économique. Même si elle est « bénévole », la mère peut en réalité être soumise à un chantage affectif, voire à des promesses ou des menaces concernant son emploi. C’est déjà le cas en ce qui concerne le don d’ovules en France, comme le souligne le rapport de l’IGAS [17]. Si la gestation pour autrui n’est pas à but lucratif, peu de femmes acceptent de porter un enfant pour quelqu’un d’autre. En conséquence de l’inadéquation de l’offre à la demande, soit il y a des pressions sur les femmes plus vulnérables soit les « parents intentionnels » vont à l’étranger, là où c’est commercial, au risque qu’il n’y ait aucune protection pour la mère porteuse.

Là où la gestation pour autrui commerciale est admise, de nombreuses agences et cliniques font profit de la souffrance des couples en mal d’enfant et de la détresse de femmes vulnérables.

Sélection des femmes (donneuses d’ovocytes et mères porteuses) :

Les femmes retenues pour être mères porteuses ou donneuses d’ovocytes sont soigneusement sélectionnées. En Inde, elles sont choisies sur des critères de beauté, d’obéissance et de dépendance économique. Aux Etats-Unis, le processus de recrutement commence par d’interminables questionnaires [18], examinant le dossier médical de l’intéressé et de toute sa famille jusqu’aux grands-parents (avec l’âge et la cause de leur mort) et aux oncles et tantes ou neveux et nièces, mais aussi les niveaux d’étude et professions de toute la famille, la vie sexuelle, les compétences musicales ou sportives, la religion (foi et pratique) sans oublier l’apparence physique : taille, poids, origine ethnique, couleur des yeux et des cheveux etc. Les femmes ne peuvent être retenues en présence d’antécédents médicaux ou judiciaires. Finalement, les femmes sont choisies sur des catalogues avec photos, pour permettre aux « parents intentionnels » d’avoir le bébé « de leurs rêves », le bébé parfait, qui leur ressemble et répond à leurs attentes. Beaucoup de cliniques proposent aussi le choix du sexe de l’enfant par diagnostic préimplantatoire [19]. L’enfant devient donc un bien que l’on choisit avec toutes ses options, comme on achète une voiture [20], sans avoir à subir les inconvénients d’une grossesse et d’un accouchement [21].

Surveillance des femmes

Pour assurer que l’enfant sera conforme à toutes les normes fixées, la mère est étroitement surveillée pendant la grossesse. Ceci peut être fait par différents moyens, en douceur ou de façon coercitive. Aux Etats-Unis par exemple, les clauses du contrat envisagent en détail ce que la mère peut faire ou manger pendant sa grossesse et ce dont elle doit s’abstenir, à un point qui peut devenir très contraignant. Dans de nombreux pays, l’agence exerce un contrôle régulier, parfois avec des visites quotidiennes, et le suivi psychologique peut devenir aussi un moyen de surveillance. Les mandataires eux-mêmes peuvent être en contact permanent avec la mère porteuse, par téléphone ou à travers des visites, au point d’empiéter sur l’intimité de la mère porteuse et d’entretenir une confusion malsaine [22].

La surveillance peut même devenir franchement coercitive, avec des femmes parquées dans une maison comme du bétail (de compétition) et obligées de suivre un régime et un emploi du temps stricts, incluant la sieste et l’écoute de Mozart puisque c’est bon pour le bébé [23].

Exploitation des femmes

Dans tous les cas, seul le bébé compte : il faut un produit de bonne qualité, correspondant en tous points aux désirs des parents. Pour cela, des cliniques indiennes imposent une césarienne sans raison médicale trois semaines avant terme, afin que le bébé ne soit pas marqué par la naissance, qu’il ait une belle tête bien ronde. Les mères ne reçoivent pas les soins adéquats après, ce qui fait que le taux de mortalité maternelle est élevé. Cela peut aussi permettre de réduire la rémunération de la mère qui est parfois payée selon le poids du bébé…

Des femmes délivrées d’une « ferme de bébés » ou elles avaient été retenues et contraintes de porter un enfant pour autrui ont raconté les méthodes de recrutement dans les villages : promesse d’un emploi, viol, retrait du passeport et enfermement loin de chez elles : ces méthodes sont en tous points semblables à celles des réseaux de prostitution. Les liens avec les réseaux mafieux, non seulement en Asie mais aussi en Europe de l’Est, sont d’ailleurs connus, même s’ils sont parfois difficiles à prouver.

Il peut être utile à ce stade de rappeler quelques normes de droit international. L’article 7 du Statut de la Cour pénale internationale inclut la réduction en esclavage, la prostitution forcée et la grossesse forcée parmi les crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont pratiqués à grande échelle. L’article 6 de la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes exige que «Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes », tandis que l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et l’article 4 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains stipulent :

« a) L’expression “traite des personnes” désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes;

b) Le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque l’un quelconque des moyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé; »

Même si dans certains pays des règles et une protection sont assurées pour limiter la marchandisation des enfants et l’exploitation des femmes, ces limites sont loin d’être suffisantes : une « contrepartie » peut en réalité constituer un paiement, le consentement de la mère peut être contraint et dans tous les cas l’enfant est traité comme une chose, objet d’un contrat.

Aucune protection ne peut être suffisante parce que la gestation pour autrui est en elle-même une violation de la dignité humaine, tant de la mère que de l’enfant.

Les pays membres de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe doivent fermement interdire les contrats de gestation pour autrui et refuser de reconnaître les effets de la gestation pour autrui à l’étranger, en particulier concernant la filiation. C’est la façon la plus efficace de dissuader leurs ressortissants d’avoir recours à la gestation pour autrui à l’étranger et de contribuer à l’exploitation des femmes et à la marchandisation des enfants.

* * *

Le Centre européen pour le droit et la justice est une organisation non-gouvernementale internationale dédiée à la promotion et à la protection des droits de l’homme en Europe et dans le monde. L’ECLJ est titulaire du statut consultatif spécial auprès des Nations-Unies/ECOSOC depuis 2007. L’ECLJ agit dans les domaines juridiques, législatifs et culturels. L’ECLJ défend en particulier la protection des libertés religieuses, de la vie et de la dignité de la personne auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et au moyen des autres mécanismes offertes par l’Organisation des Nations Unies, le Conseil de l’Europe, le Parlement européen, et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). L’ECLJ fonde son action sur « les valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples [européens] et qui sont à l’origine des principes de liberté individuelle, de liberté politique et de prééminence du droit, sur lesquels se fonde toute démocratie véritable »(Préambule de la Statut du Conseil de l’Europe).

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[1] Définition de l’article 1101 du code civil français

[2] Article 1128 du code civil français

[3] M. et Mme Whitehead avaient conclu un accord avec les époux Stern selon lequel  Mme Whitehead serait inséminée avec  le sperme de M. Stern et lui remettrait l’enfant ainsi conçu.  Elle a finalement voulu garder l’enfant et refusé la somme convenue. A près diverses péripéties, le contrat de maternité de substitution fut annulé mais la garde de l’enfant fut confiée aux époux Stern avec un droit de visite pour Mme Whitehead par la Cour suprême du New Jersey le 3 février 1988.

[4] Konstantin Svitnev, “Legal regulation of assisted reproduction technology in Russia”, Reproductive BioMedicine Online (2010) 20, 892– 894

[5] Ces contrats ne sont pas exécutoires, la mère porteuse ne peut donc être obligée de donner l’enfant ; en revanche, le mandataire père biologique de l’enfant peut être condamné à lui verser une pension alimentaire pour l’éducation de l’enfant : Affaire rapportée dans le Daily Mail online du 13 avril 2011 : http://www.dailymail.co.uk/femail/article-1376349/As-couple-ordered-pay-500-month-baby–Was-surrogate-took-baby-money.html

[6] Exemple dans un couple japonais qui a « commandé » un enfant en Inde, puis a divorcé ; c’est finalement la « grand-mère », mère du mandataire, qui a pris l’enfant : Baby Manji Yamada vs. Union of India and Another, Judgments Today 2008 (11) Supreme Court 150. Résumé de l’affaire sur http://www.lawgazette.com.sg/2009-3/regnews.htm

[7] Aux Etats-Unis, les contrats prévoient toutes ces hypothèses, comme dans l’affaire Baby M http://www.gale.cengage.com/free_resources/whm/trials/babym.htm

[8] « Questions de droit international privé concernant le statut des enfants, notamment celles résultant des accords de maternité de substitution à caractère international », note de mars 2011 http://www.hcch.net/upload/wop/genaff2011pd11f.pdf

[9] Voir par exemple http://www.anonymousfathersday.com/

[10] Hazel Baslington, The Societal Organization of Surrogacy : Relinquishing a Baby and the Role of Payment in the Psychological Detachment Process, 7 J. Health Psychol.  57,63 (2002)

[11] http://www.artbaby.in/ivf-packages/

[12] Note de la conférence de La Haye p. 6

[13] Sigrid Fry-Revere, “Funding Embryonic Stem Cell Research,” Genetic Engineering and Biotechnology News, Vol. 27, No. 6, March 15, 2007, cite par http://www.cbc-network.org/issues/making-life/egg-donation-and-exploitation-of-women/

[14] News Release, Office of the United States Attorney Southern district of California, Baby Selling Ring Busted 1 (Aug. 9, 2011)

[15] Huddleston v. Infertility Clinic of America Inc. (20 août 1997) (Superior Court de Pennsylvanie) – disponible à l’adresse < http://caselaw.findlaw.com/pa-superior-court/1190217.html

[16] Note Conférence de La Haye

[17] Etat des lieux et perspectives du don d’ovocytes en France, Février 2011, Documentation française, p. 25 http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/114000113/0000.pdf. Voir aussi, concernant le marché d’ovocytes aux Etats-Unis, le film Eggsploitation présenté sur http://www.eggsploitation.com/

[18] http://www.egg411.com/download/EggDonorApplication.pdf

[19]  Par exemple: http://www.lasvegasfertility.net/index.html ; http://www.fertility-docs.com/fertility_gender.phtml

[20]  Par exemple: http://mother-surrogate.com/anketa.html ; http://www.affordablesurrogacy.com/33.html

[21] Dans 10% des cas, les femmes qui ont recours à une mère porteuse le font pour ne pas compromettre leur carrière ou leur silhouette, ou pour éviter les douleurs de l’accouchement : http://www.ewtn.com/vnews/getstory.asp?number=17113

[22] Comme cette mandataire anglaise qui racontait qu’elle avait inséminé elle-même la mère porteuse avec le sperme de son mari pour participer à la conception, que la mère porteuse lui avait annoncé « Nous sommes enceintes » et qu’elle étalait de la crème sur le ventre de la mère porteuse… Daily Mail online du 13 avril 2011 : http://www.dailymail.co.uk/femail/article-1376349/As-couple-ordered-pay-500-month-baby–Was-surrogate-took-baby-money.html

[23] http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-pacific-12575566

EUROPA’S CHRISTELIJK DNA

Citaat uit “L’Europe Frigide” van Elie Barnavi: ‘Ja, Europa is christelijk geweest, en men veroordeelt zich ertoe niets te begrijpen van wat het was of geworden is, als men koppig een zo essentieel element van zijn identiteit blijft uitvlakken uit zijn geschiedenis’.

Inderdaad is het christendom eeuwenlang de intellectuele software van Europa geweest, en Europa is daar schatplichtig aan. Het christendom behoort nog steeds tot het DNA van Europa.

Men hoeft maar naar totaal andere culturen te gaan om dat verschil in DNA te onderkennen. Een kennis uit een zeer vrijzinnige familie, die nooit een kerk van binnen had gezien tenzij als historisch monument, ging na jaren verblijf in China beseffen hoezeer hij ondanks alles een ‘culturele christen’ was, zei hij me. Dat besef vloeide voort uit de confrontatie met een totaal andere traditie, die zich helemaal los van het christendom had ontwikkeld. Een traditie waaraan de notie van de gelijkheid van de mensen geheel vreemd is. Een traditie waarin de notie van goed en kwaad veel minder bestaat dan de noodzaak niet betrapt te worden en het gezicht niet te verliezen. Een traditie die er een van schaamte is, niet van schuld.

Ineens was die man, die graag in China woonde en er goede zaken deed, gaan beseffen hoezeer ons politiek en sociaal bestel schatplichtig was aan de christelijke software. De idee van de gelijkheid van de mensen was ontleend aan de leer dat ‘alle mensen gelijk geschapen zijn’, zoals Abraham Lincoln zei in zijn prachtige rede van Gettysburg, voor de gesneuvelden van de Amerikaanse burgeroorlog. Het Europese sociale model, zei mijn kennis, Was onder meer geïnspireerd door de idee van naastenliefde, de caritas. De christelijke notie dat er geen vergiffenis mogelijk is zonder berouw was doorgedrongen in ons rechtsbestel, waar spijtbetuiging een reden voor strafvermindering is.

Ook de notie van scheiding tussen kerk en staat viel niet uit het luchtledige. Ze kwam niet plots opduiken met de Verlichting. Ze behoorde al sinds het begin van onze tijdrekening tot de intellectuele software van het christendom, sinds Christus op een strikvraag antwoordde: geef aan de keizer wat aan de keizer toekomt, en geef aan God wat aan God toekomt.

Natuurlijk is de scheiding tussen kerk en staat in de loop der eeuwen vaker niet dan wel toegepast. Maar de notie zelf behoorde tot het gedachtegoed, en ook tot de realiteit. Ook alvorens de scheiding tussen kerk en staat in hun grondwet kwam, leefden Europeanen al met de dualiteit van de geestelijke en wereldlijke macht, want ze hadden zowel een koning als een paus. De termen zelf van koning en leek komen trouwens uit de woordenschat van de kerk.

Dit is een essentieel verschil met de islam. Mohamed was zowel profeet van God als een wereldlijke leider. De koran combineert goddelijke openbaring en voorschriften voor bestuur en rechtspraak. Het concept zelf van scheiding tussen religie en staat is in een groot deel van de moslimwereld nog altijd, letterlijk, ondenkbaar. Toen Ataturk van het moslimland Turkije een (min of meer) seculiere staat maakte, bestond er in het Turks gewoon geen woord voor seculier. Het werd “laik”, gekopieerd op het Franse Laïc.

De Belgische primaat, kardinaal Danneels, zei ooit in een TV-interview dat het probleem met de islam was dat die ‘nooit een Franse revolutie heeft gehad’. Het is omgekeerd. Juist omdat de islam is wat hij is heeft hij geen Franse- of Amerikaanse- revolutie voortgebracht. Eigenlijk bezondigde de kardinaal zich daar- voor zover men dat werkwoord over een prins van de kerk mag gebruiken- aan een ‘franco-centrische’ visie.

Het is een typisch Franse visie het krediet te eisen voor de hele Europese Verlichting, te doen alsof die wortelt in de Lumières van de achttiende eeuw en de Revolutie.

De Lumières en de Revolutie sproten voort uit een specifiek Franse toestand waarin de ‘derde stand’, de burgerij, zich verzette tegen de privileges van de eerste twee standen, de adel en de clerus. De Revolutie deed dus niet alleen de edelen hun voorrechten- en ook vaak hun hoofd- verliezen, ze keerde zich ook heftig tegen de kerk. En dus ging men in Frankrijk, en ook elders, Verlichting en christendom als onverzoenlijke vijanden voorstellen.

En dat klopt niet. De eerste Europese verlichte denkers waren gelovige mensen, van joodse en christelijken huize. Ze leefden niet in de achttiende eeuw en niet in Frankrijk, maar in de zeventiende eeuw, in Engeland, Nederland en Duitsland.

Denkers als Spinoza, John Locke, Pierre Bayle en Christian Wolff vertegenwoordigen een groep van verlichte filosofen uit de zeventiende eeuw die niet aanvaardden dat de heerser zijn geloof, desnoods met geweld, oplegde, of dat de kerk de dwangmiddelen van de staat gebruikte om haar leer als enige te doen gelden. Ze pleitten voor overwinning van de rede, voor vrijheid van denken, en voor tolerantie als het beste systeem om mensen vredig en gelukkig te laten samenleven. En dat is de kern van de Verlichting. In de franco-centrische opvatting wordt de Verlichting te vaak en veel te veel verengd tot een visceraal antiklerikalisme.

Dat alles betekent natuurlijk niet dat het christendom automatisch tot democratie leidde. Er zijn de godsdienstvervolgingen, de intolerantie, de Inquisitie die er even goed toe behoren. Maar elke nobele boodschap die ooit verkondigd is, is ook misbruikt. Er bestaat geen enkele idee, geen enkele boodschap, die niet ooit is ingeroepen voor het tegengestelde van wat ze beweerde te beogen, en dat geldt ook voor de boodschap van de evangeliën.

Het christendom reduceren tot de misbruiken die in zijn naam zijn begaan, is even oneerlijk als hert atheïsme reduceren tot de bloedbaden die de twee Europese seculiere religies van de vorige eeuw, communisme en fascisme, hebben aangericht. Of het socialisme reduceren tot de goelag, de massamoordende waandenkbeelden van Mao Zedong en de gruwelijke killing fields van de Rode Khmers.
Doen a lsof de erkenning van het christelijke erfgoed een ontkenning zou zijn van de Verlichting is niet alleen geschiedenisvervalsing. Het is ook een zware intolerantie vanwege lieden die beweren tolerantie te prediken.

*Voordracht gehouden op 16 maart 2012 bij gelegenheid van de viering van het 775 jarig bestaan van de Roosenbergabdij te Waasmunster.

DE NOUVELLES QUESTIONS ETHIQUES APRES LE SEQUENCAGE DU GENOME HUMAIN

Paris, France
Dr.-ès-Sciences, ex-enseignant-chercheur, Université Paris-Sud, Orsay.
Enseignement à l’Université Paris-Sud et Recherche à l’Institut Pasteur dans les domaines de biologie moléculaire et de microbiologie.

 

Résumé :
L’obtention de la séquence complète du génome humain a montré une grande plasticité de cette molécule. Un tel séquençage permet actuellement d’envisager une implication génétique dans un certain nombre de maladies. Cependant, le lien direct entre la présence de mutations dans différents gènes et la maladie elle-même reste une question complexe à résoudre. Le développement actuel de méthodes de séquençage plus rapides et moins coûteuses ouvre de nouvelles voies à la médecine prédictive. Au sein d’un tel développement, il est à envisager la possibilité pour tout un chacun la séquence de son propre génome. Que ce soit du point de vue médical ou du point de vue personnel, il existera des répercussions au niveau de la société. Aussi de nouvelles questions éthiques doivent être posées dès maintenant.

Summary:
The whole sequence of human genome showed a great plasticity for the molecule. Such results opened the possibility to find out a possible genetic involvement in certain diseases. However the relationship between the presence of mutations and the disease itself is still very difficult to substantiate. The great development of rapid and new sequencing methods opens a new field for predictive medicine. Besides such medical involvement the temptation for any person to get its own genome sequence is arising. Such a fact will have consequences on the society. So, new ethical questions should be displayed as soon as possible.
La première séquence complète du génome humain a été obtenue en 2001, il y a à peu près dix ans. Cela constitue un exploit technologique extraordinaire. Mais, n’a-t-on pas rêvé en attendant beaucoup d’une telle technique et notamment pouvoir en déduire directement de nombreuses connaissances biologiques ? Cela a soulevé un grand nombre de questions : y a-t-il une différence dans la séquence d’hommes habitants divers continents ? Et si oui, quel pourcentage de différence peut-on noter ? D’autre part, on peut se poser la question de savoir comment lier un tel message biologique au reste de la biologie humaine et notamment aux maladies ?
Le séquençage du génome humain est lié à différents grands projets comme celui du Hap Map (pour haploid mapping) dont le rôle est de produire un catalogue de mutations au niveau d’un nucleotide (qu’on appelle SNPs pour single nucleotide polymorphism) rencontrées dans le génome ; celui du GWAS (genome wide association studies) qui recherche le lien entre la présence de ces mutations et un certain nombre de maladies communes comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires ..etc ; et celui du projet ENCODE (pour encyclopedy of DNA elements) qui cherche à localiser les gènes codant des protéines et à déterminer si ces gènes sont «allumés» (activés) ou « éteints » (non activés) dans tel ou tel tissus.
Nous nous proposons dans ce travail de faire un bilan des connaissances sur le génome humain depuis l’obtention de la séquence totale de cette molécule en 2001, de voir les implications sur le plan médical mais aussi sur le plan de la société ; puis nous verrons comment un certain nombre de nouvelles questions éthiques se posent face à ces nouvelles connaissances pour l’homme d’aujourd’hui.

I – Ce que ce séquençage du génome a apporté
1 – Une grande plasticité de cette molécule

Après le séquençage du génome d’un américain, d’autres séquençages ont eu lieu cherchant à établir si des différences existaient à ce niveau moléculaire entre des hommes habitant des continents différents. Ainsi, il a pu être établi le séquençage complet du génome de deux africains et d’un ou deux asiatiques montrant qu’il n’existait qu’une différence allant de 1 à 3% entre ces divers génomes. Depuis un grand nombre de séquençage partiels a été réalisé. Sachant que la variabilité trouvée entre les divers génomes est faible, ceci pose la question de savoir pourquoi si nous sommes aussi proches du point de vue moléculaire au niveau du génome sommes-nous si différents du point de vue phénotype ? Ceci indiquerait déjà que nous ne sommes pas uniquement dépendants de cette information génétique. Cependant, le séquençage que l’on possède actuellement n’est pas à 100% fiable. Aussi, les données actuelles doivent-elles être prises avec précaution. Malgré cela, il est peu probable que même avec plus de précision, ce pourcentage en soit grandement modifié. En effet, il faut aussi prendre en considération le fait que ce génome est en perpétuelle évolution sous l’effet de l’apport de mutations (variants) simples (insertions ou délétions), de duplications, de réarrangements ou autres « accidents » génétiques. De la qualité du séquençage dépend aussi l’interprétation des résultats. Une telle information génétique est reçue en très grande partie de nos parents et transmise à nos héritiers ; elle est aussi sous l’influence de l’environnement et d’un certain nombre d’évènements que vit l’individu et qui sont susceptibles de conduire à des modifications du génome qui peuvent être aussi transmise d’une génération à l’autre. C’est le phénomène bien connu de l’épi-génétique que nous ne faisons que mentionner car ce serait trop long de le développer. De telles modifications du génome révèlent une grande plasticité de cette molécule. Un exemple d’une telle plasticité est illustré par le fait que le génome humain contient des séquences de génomes bactériens et de virus. Cela peut être la conséquence d’une infection bactérienne contracté une ou plusieurs fois par la personne car le génome des bactéries se sont totalement ou partiellement insérés dans le génome humain. Cela peut être due aussi aux interactions de l’organisme humain avec sa flore bactérienne que l’on trouve soit dans l’intestin soit au niveau de la peau ou des aisselles ou autres niches. Si ces bactéries participent à la bonne santé de l’organisme en produisant des facteurs anti-inflammatoires, des vitamines, elles peuvent aussi être cause de dérégulation de métabolisme en produisant des toxines…etc suite à l’insertion dans ce génome humain.
Le séquençage du génome a certes apporté des connaissances certaines et très fructueuses mais a aussi ouvert la porte d’un labyrinthe de nouvelles questions notamment au niveau du fonctionnement de la cellule dans les interactions entre le génome et les autres composants cellulaires. Ce séquençage a aussi dévoilé une classe de nouveaux éléments, les acides ribonucléiques (ARNs) de petits poids moléculaires dont on commence à voir un rôle au niveau de la régulation des gènes et peut être de fonctions cellulaires.
En fait, on se rend compte que seulement une faible partie du génome code des protéines mais que 74% ou plus est transcrit en ARNs de poids moléculaire très variés.
Ainsi, grâce à une haute technologie de séquençage, la complexité de la biologie humaine augmente. On peut alors se poser la question de savoir si un jour on arrivera à connaître l’homme biologiquement et complètement. La plasticité de ce génome due à l’environnement de l’homme fait poser la question de savoir si on peut parler de génome « normal ». La tentation est grande de vouloir parler ainsi et de glisser facilement vers un certain eugénisme.
La structure du génome quand elle a été découverte, a rendu la biologie capable d’aborder le mystère de la vie. Et du coup le séquençage complet du génome humain constituerait un atout pour aller plus loin montrant par la séquence tout ce que nous aurait transmis nos ancêtres mais aussi en essayant de comprendre la cause et le mécanisme impliqué dans certaines maladies.

2 – Jusqu’à quel point la médecine actuelle est-elle vraiment bénéficiaire d’un tel développement au niveau du génome ?

Il existe encore à l’heure actuelle une tendance « stéréotype » de considérer la relation : un gène, une maladie. Malheureusement cela n’est vrai que pour quelques maladies rares dites mono-géniques. Cependant, la majorité des maladies sont multigéniques. Ceci pose la question de savoir jusqu’à quel point la médecine actuelle est vraiment bénéficiaire d’un tel développement au niveau du génome. La prise en compte de la variabilité génétique humaine est l’un des enjeux majeurs de la médecine du XXIème siècle. Le génome humain comporte un certain polymorphisme ce qui complique l’analyse génétique. Chez les malades, l’implication génétique est extrêmement diverse : certains gènes portant une ou plusieurs mutations peuvent être considérés comme responsables de maladies graves ; d’autres sont seulement susceptibles d’augmenter le risque d’apparition de maladies. Quelle probabilité de survenue de la maladie peut-on déterminer ? Peut-on être porteur de gènes avec des mutations génétiques et la maladie ne jamais se déclarer ? Pour discerner cela, il faut pouvoir analyser des milliers de génomes afin d’essayer de détecter l’implication possible de tel ou tel gène avec des mutations dans telle ou telle maladie. Pour qu’une telle étude soit valable à l’heure actuelle, on constitue un groupe de personnes affectées par la maladie ainsi qu’un groupe qui en est exempt mais aussi proche que possible du précédent au niveau de l’ascendance et du mode de vie, voire appariés deux par deux, un « affecté » et l’autre pas. Les résultats des deux groupes une fois comparés permettent de définir une région du génome qui pourrait être impliquée dans la maladie. Il reste néanmoins à faire encore une étude plus approfondie avec un séquençage fin de toute la région impliquée c’est-à-dire avec la plus grande précision possible.
Nous voyons donc que ce qui apparemment semblait simple, est en fait très complexe. En effet, les effets phénotypiques associés à ces mutations sont souvent faibles dénotant ainsi que la relation entre la présence d’un gène et la maladie n’est pas si simple à être mis en relation. Cela montre qu’il faut de plus en plus une technologie plus fine donnant une très haute précision ainsi qu’un nombre plus élevé de séquences pour avoir des comparaisons significatives. Ainsi, vient d’être lancé le projet « 1000 génomes » qui tente d’obtenir la séquence de 1000 génomes et pouvoir détecter comment et combien un certain nombre des gènes mutés recherchés sont représentés pour un certain nombre de maladies. Un tel projet n’en est qu’à ses débuts et il est associé à celui du séquençage avec une très haute précision des parties du génome codant des protéines plus ou moins impliquées dans la ou les maladies étudiées. Ceci signifie que une fois les séquences obtenues, les mutations identifiées il faut encore relier ces résultats à tel ou tel aspect de la maladie ce qui reste quelque chose de complexe à réaliser. Nous sommes, nous le voyons, encore assez loin du but recherché bien que les progrès accomplis sont déjà énormes. De là il en découle que l’utilisation de nouvelles données génomiques dans des maladies restent encore à être prise avec précaution.

II – Comment des questions éthiques s’invitent-elles au coeur de cette recherche ?
1 – Au niveau du génome de la personne : une marchandisation possible ?

Du point de vue technologique, on arrive maintenant à analyser un génome à partir d’un très petit nombre de cellules en faisant d’abord un « profilage exhaustif » suivi par un séquençage partiel. Cela permet d’obtenir un certain nombre d’informations. Récemment, il a été possible d’analyser des parties de séquences seulement à partir de traces d’ADN donnant des éléments sur l’apparence de la personne (couleur des yeux, de la peau, l’âge de la personne …etc). Il s’agit de l’analyse de gènes directement impliqués dans des caractères visibles situés dans des régions hypervariables du génome et qu’on appelle « empreintes génétiques ». Si donc on peut analyser un génome à partir de très faibles quantités de cellules, cela signifie qu’il est facile de collecter des traces de génome sur différents objets et d’avoir ainsi facilement des renseignements sur la ou les personne (s) ayant touché cet objet.
Mais tout cela est-il légal ? Est-il permis à n’importe qui de récupérer ces traces de génome, de la faire analyser et d’utiliser les informations obtenues ? Si des interdictions existent, on peut se demander si elles correspondent à une quelconque réalité quand on sait que sur Internet de nombreuses firmes proposent des analyses d’ADN à un coût relativement peu élevé et avec une certaine rapidité d’obtention des résultats. En effet, nombreuses sont les personnes qui grâce à Internet demandent à des firmes de séquençage de décoder leur propre séquence ou telle ou telle autre séquence. Mais que signifient les résultats obtenus ? En fait, ils sont « des résultats trompeurs, encore compliqués par du marketing fallacieux et par d’autres pratiques contestables. Ils sont en effet basés sur le projet « 1000 génomes » c’est-à-dire l’étude de 1000 génomes pour avoir quelque chose d’à peu près sûr. Or, une valeur statistique significative entre deux groupes de 1000 personnes ne l’est plus quand elle est appliquée à une seule personne. Donc, c’est un gain nul pour la personne qui « se fait » séquencer son génome.
B.Jordan note aussi que l’information qui est donnée est incompréhensible et confuse car l’ambigüité de l’information est grande. Les prédictions de risque sont parfois en conflit avec des affections diagnostiquées ou avec l’histoire familiale. La confusion est aussi augmentée et favorisée par un langage ambigu. Les indications sont finalement fort vagues se bornant à quelques indications d’hygiène de vie (en fait, on n’a pas besoin de la séquence du génome pour le savoir). De plus certaines firmes renvoient leurs clients vers leurs médecins généralistes tout en reconnaissant que ce dernier n’a aucune formation pour interpréter ces résultats. D’ailleurs, aux USA, un organisme gouvernemental a été chargé de mener une investigation sur les tests génétiques grand public dits tests DTC (‘direct test consumer’)
La révélation des résultats obtenus après séquençage n’est pas anodine du point de vue personnel et familial. L’interprétation des résultats sujette à caution comme on l’a vu peut induire chez le sujet une angoisse. Toute personne devrait être par la suite accompagnée et encadrée du point de vue médical notamment dans des centres de génétiques qui se développent de plus en plus.
On peut se poser la question de savoir pourquoi des individus ont l’idée saugrenue de s’adresser directement par Internet à une telle firme afin d’obtenir ces informations au niveau de ses chromosomes ? Par souci de stricte confidentialité ? Que cela ne puisse pas être utilisé ultérieurement par la société qui embauche, par son assurance, par sa banque pour des prêts ? Nombreuses sont les questions.
Cette information personnelle peut être liée ou non à une histoire familiale. Si c’est le cas doit-on alors avertir le reste de la famille qu’on est porteur de telles ou telles mutations dans divers gènes ? Est-ce soi-même qui doit le faire avec ou sans l’aide du le médecin de la famille, tout en préservant le secret professionnel ? Est-ce une obligation de la faire savoir ? Il s’agit seulement de prédiction qui ne veut pas dire certitude comme nous l’avons déjà mentionné au début.

 

2 – Le message qui est présent dans nos chromosomes ne dit pas tout de ce que nous sommes et des maladies qui pourront se déclarer un jour.

Nous ne sommes pas déterminés ni prédéterminés par le message contenu dans nos chromosomes à la naissance. Notre patrimoine génétique est sous la dépendance de l’environnement, de toute l’histoire individuelle notamment en ce qui concerne l’influence de la microflore ainsi que l’histoire immunitaire. Alors, ne considérer que ce qui se passe pour un être humain, au niveau de cette molécule est réductionniste. Ce génome n’est qu’un composant cellulaire et son message ne dit rien ou pas grand-chose des interactions entre les différents composants cellulaires. C’est le défi de la biologie cellulaire et de la biologie moléculaire du XXIème siècle d’essayer de comprendre comment fonctionne une cellule et de comprendre comment des interactions peuvent être pérennes et d’autres transitoires et ainsi conduire ou pas à telle ou telle maladie ou à un certain phénotype.
Ce qui est donné actuellement avec une séquence personnelle c’est plutôt une estimation des risques encourus pour une vingtaine d’affections comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires, le glaucome. Ne revient-il pas à l’individu de tirer les conséquences des informations qui lui sont fournies afin de changer son régime, son mode de vie ? Cependant, l’attrait pour cette molécule reste très grand. Comme les progrès de séquençage sont énormes tant du point de vue précision que celui du coût et de la rapidité alors tout homme dans peu de temps portera sous forme d’une carte (genre carte vitale) la séquence de ses chromosomes comme le dit B. Jordan. N’est-ce pas une tentation de réduire l’homme à son patrimoine génétique ?

3 – Le problème de la confidentialité

Ce génome personnel peut révéler l’ensemble des susceptibilités génétiques dont la personne est porteuse. Mais, une fois la séquence complète et relativement fiable réalisée comment va s’établir la confidentialité ? Qui gardera les données ? La firme pharmaceutique qui a les données dans son ordinateur ne sera-t-elle pas tentée de tout garder et de ne rien effacer ? Le centre de génétique qui a réalisé la séquence ? De la donner à une équipe médicale à l’hôpital ? L’hôpital pourra-t-il tout garder ? Est-ce son rôle ? Est-il équipé pour assurer la protection des données médicales et génétiques ? Par ailleurs, des chercheurs ne pourraient-ils pas avoir accès à ces données en vue de recherches ultérieures ? Si oui, cela signifie que les stockages des données du génome seront sur un ordinateur accessible à tout laboratoire de recherche du monde entier à travers un code. Comment se préserver des influences sociales, assurancielles, politiques? Ainsi, la confidentialité est grandement compromise.
De plus, si chacun possède la séquence de son propre génome, ne courrons-nous pas le risque d’édifier une société de méfiance les uns envers les autres, même s’il y a la confidentialité ? Même à l’intérieur d’un réseau familial ? Ne va-t-on pas aggraver la suspicion, craignant qu’on porte tous des gènes susceptibles de donner telle ou telle maladie ? Lors de la découverte de maladies héréditaires dans des familles indemnes ou de maladies encore inconnues, qui gèrera ? Les scientifiques ? Les médecins ? L’ensemble des deux ? Toutes ces maladies au fur et à mesure qu’on les détectera doivent-elles obligatoirement faire l’objet de tests de détection ? N’est-ce pas déjà le cas de la trisomie 21 et de l’eugénisme lié au dépistage de son risque accru en cas de grossesse ? et d’autres formes de trisomies ?
Que fera celui qui va recevoir un tel résultat venant d’une firme obtenue par Internet ? Va-t-il changer de mode de vie, jusqu’à se supprimer ? N’est-ce pas donner une telle importance à cette molécule ou plutôt à ce ou ces gènes découverts sans tenir compte du reste de notre biologie ? Une telle donnée ne devrait-elle pas être protégée et n’être délivrée que par une équipe médicale capable de l’interprétation des mutations ? La création de centres cliniques de génétiques doit prendre une place de plus en plus importante dans nos sociétés actuelles.
Tout ceci montre qu’on se dirige, grâce au séquençage du génome, vers une médecine personnalisée, plus individuelle et qui est liée à une médecine prédictive. Notre société a- t-elle la maturité et les outils pour assumer cette mutation ?

4 – La médecine prédictive

Cette médecine vise les tests génétiques dont le but est de connaître certaines caractéristiques génétiques liées à telle ou telle maladie. Ces tests ont pour but une meilleure information en vue de mieux protéger les personnes. Cependant, dans ces tests, la question spécifique de la vulnérabilité de la personne n’est souvent pas prise en considération. Or, elle soulève des interrogations éthiques particulières en matière d’information complète et de protection. Recevoir les informations directement sans l’aide d’une équipe médicale est source de vulnérabilité et les individus face à de tels résultats doivent pouvoir être encadrés. De plus, de tels tests et la réponse de leurs résultats doivent montrer d’abord leur utilité puis permettre une décision éclairée suite à l’information reçue. Le jour où ces tests seront beaucoup plus fiables et moins coûteux, ils deviendront une pratique médicale courante. Ne risquent-ils pas d’être perçus par l’opinion comme obligatoire ? Quelle conduite adopteront alors les personnes ? Où est la liberté individuelle, principe majeure de l’éthique : liberté de connaître ou non, liberté de faire les tests ou pas ? Que fera le médecin face à la liberté du patient de « ne pas savoir » ?
Le développement de la médecine prédictive n’en est qu’à ses balbutiements et doit se développer avec prudence. Elle demande des résultats fiables et interprétables mais aussi de nouvelles connaissances de la part du corps médical.
Elle doit empêcher la personne, face à des résultats difficiles, de s’enfermer sur elle-même.
La médecine prédictive peut être liée à une médecine préventive bien que ces deux types de médecine ne soient pas toujours en relation l’une l’autre. En effet, face aux risques liés à certaines maladies génétiques, une équipe médicale peut surveiller et agir de sorte que la pathologie ne se développe pas, qu’elle soit détectée précocement. C’est le cas des familles où les femmes sont porteuses d’un gène du cancer du sein. Pour le patient et la société, cette forme de médecine est bienfaisante.
Un exemple de médecine prédictive au niveau du génome humain est actuellement réalisé au niveau du DPI (diagnostic préimplantatoire). La prédiction peut conduire à l’élimination pure et simple de l’embryon ou à une sélection d’embryons. Ces tests sont très encadrés encore actuellement en France. Mais, la tentation est grande d’élargir ces détections au niveau génomique à bien d’autres maladies graves et qu’on ne sait pas soigner actuellement. La médecine prédictive ainsi conçue conduit à l’eugénisme avec le refus de considérer l’homme tel qu’il est dans sa vulnérabilité et de ne pas l’accepter comme tel. N’est-ce pas avoir aussi une vision réductrice de qui est l’homme ? N’est-ce pas considérer qu’on recherche un génome normal ce qui, on l’a vu, ne veut rien dire et ne repose sur aucun fondement scientifique.

5 – Génome individuel et société

Le projet « 1000 génomes » ouvre de grandes possibilités. Pour les gens qui travaillent sur des grands nombres ainsi que pour des populations (assureurs, santé publique) cela peut être très intéressant. Leurs analyses proviennent des études de GWAS qui, on l’a mentionné, ne révèle qu’une très faible partie de l’héritabilité d’une affection et chaque locus impliqué n’apporte qu’une très faible contribution dans un sens ou dans l’autre. Si les statistiques entre deux groupes de personnes ne sont pas significatives au niveau individuel par contre elles le sont pour ceux qui travaillent sur des grands nombres de personnes.

III – Conclusion

Avec le séquençage du génome humain nous vivons une révolution silencieuse qui transforme la médecine en profondeur mais aussi la connaissance biologique de l’homme et induit un questionnement nouveau. Toutes ces nouvelles données sur le génome si elles touchent l’homme lui-même, touchent aussi la société. Des questions éthiques doivent donc être posées au fur et à mesure des avancées scientifiques et des solutions envisagées pour que l’homme ne perde pas son humanité et sa dignité face à de telles données.
Pour arriver à explorer la relation entre la présence de mutations (variants) sur un ou plusieurs gènes, nous avons vu qu’il fallait pouvoir collecter des milliers de résultats afin de faire de nombreuses comparaisons et pouvoir déduire quelque chose. Ceci montre que la séquence d’un génome humain seul est difficile à interpréter. Ce n’est qu’avec d’autres génomes que l’on pourra comprendre la signification du message donné par la séquence obtenue. La traduction du message a besoin d’autres traductions pour être convenablement interprétée. Ceci ne montre-t-il pas qu’on retrouve au niveau de la biologie de l’homme ce qui est connu philosophiquement : l’homme a besoin des autres pour découvrir qui il est.
Une nouvelle forme de médecine, plus individuelle, est en train de naître avec ce développement du génome humain. Et le problème se posera au niveau de la société car jamais un pays même riche ne pourra traiter des cas séparément. Le risque qui existe est qu’une telle médecine individuelle ne soit réservée non seulement aux pays riches mais aussi aux riches des pays riches.
Pour continuer à avancer dans ce domaine du génome humain et de sa connaissance en profondeur, il est nécessaire d’avoir une interdisciplinarité dans laquelle les sciences humaines auront sûrement une grande part. A la lumière des résultats déjà obtenus, n’avons-nous le sentiment d’aller de complexité en complexité biologique et découvrir des aspects de l’homme qui permettront à leur tour d’aborder de nouvelles questions en sciences humaines ? Arrivera-t-on un jour au bout de cette complexité biologique ? D’autre part, on peut se poser la question de savoir si actuellement l’homme est déjà bénéficiaire du séquençage du génome ? Je répondrai oui en partie, dans la mesure où cela a permis de comprendre certaine maladie et de trouver de nouveaux traitements comme c’est le cas, par exemple pour la mucoviscidose.
Un élément fort qui apparaît dans cette étude est l’individualisation qui grandit en prenant en considération seulement le pourcentage de différences entre les génomes de chacun et non la forte proportion de ressemblance. Une telle individualisation peut faire oublier tout ce que les individus ont en commun. Cet individualisme biologique trop mis en exergue ne peut-il pas mener à un individualisme social et éjecter des valeurs qui font la société ?

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Bioethics and Christian Europe, FEAMC-AMCI Congres Rome, 15-18 nov.2012

In november van het voorbije jaar waren enkele leden van het bestuur van de raad van beheer van de Belgische Artsenvereniging Sint Lucas aanwezig bij het congres ‘Bio-ethiek in Europa’, georganiseerd door de Italiaanse artsenvereniging AMCI en de Europese Federatie van Verenigingen van Katholieke medici (FEAMC). Het congres ging door in de Aula Magna van de Heilig Hart Universiteit in Rome, beter bekend van de Gemelli-kliniek of, voor wie wil, ‘het ziekenhuis van de paus’. Een keur van sprekers boog zich over de vraag ‘Hoe kan Europa zich aansluiten bij een gemeenschappelijk gedragen visie die de mens – geschapen naar Gods beeld – tot zijn volheid kan brengen?’. Zonder naar volledigheid te streven wil schrijver dezes met u enkele behandelde hoofdgedachten met u delen. In de voetnoten wordt daarbij verwezen naar de diverse interventies tijdens het congres.

Ontmoeting in het hart van de Kerk

In de eerste plaats is een dergelijk congres altijd een plaats van ontmoeting. Artsen uit geheel Europa ontmoeten elkaar in een conviviale sfeer van uitwisseling van ideeën en wederzijdse inspiratie. Daarbij helpen de gemeenschappelijke vieringen van de liturgie die ons terugbrengen bij de bron en het doel van ons menselijk streven: God zelf die ons geschapen heeft, die ons in Christus gered heeft van een hopeloos bestaan en door zijn Geest en in de gemeenschap van de Kerk een specifieke zending als medicus heeft meegeven. Daarnaast is er niet te miskennen voordeel van verzameld te zijn in de eeuwige stad, ook al ging het congres door op de wat afgelegen locatie van de universitaire campus van Gemelli. De pauselijke audiëntie tezamen met de deelnemers aan het congres van de pauselijke raad voor de werkers in de gezondheidszorg, tezamen goed voor een paar duizend deelnemers in de Paulus VI hal bracht ons naar het hart van de Kerk, als ook de slotviering die door de staatssecretaris van de paus, kardinaal Tarcisio Bertone opgedragen werd in de kapel van de universiteit.

Wortels van de bio-ethiek en van Europa

Verschillende bijdragen gingen in op het wezen van de bio-ethiek in een Europese context. Is het niet juist Europa geweest waar de bio-ethiek ontstaan is en zijn het niet de joods-christelijke wortels van ons continent die deze ‘geboorte’ mogelijk gemaakt hebben? De geboorte van de wetenschap juist in de joods-christelijke context, via Athene en Rome en met dank aan Arabische filosofen hebben de aanzet daartoe gegeven. Genesis 1 en Paulus in zijn brief aan de Romeinen gaven ons de mogelijkheid de wetten van de natuur en haar beheersbaarheid te ontdekken, anders dan in de omringende culturen waar zij slechts geheimzinnig en onvoorspelbaar was. De Islam bracht Aristoteles naar het westen maar botste op het probleem van de zogenaamde inperking van Gods almacht door het idee dat God zich aan zijn natuurwetten zou houden en leverde zo vanaf de 13e eeuw geen bijdrage meer vaan de wetenschap. Thomas van Aquino zou met zijn onderscheid tussen eerste en twee oorzakelijkheid de weg openen naar een vrijwel grenzeloos kennen en kunnen beheersen van de natuurlijke orde, een mogelijkheid waar de niet-christelijke wereld ruimschoots gebruik van zou maken [1]. Wetenschap en geloof delen zo in dezelfde fascinatie voor het mysterie van de schepping en de Schepper. De wetenschap legt uit met hoe en het geloof komt overeen met waarom [2]. In het joods-christelijke perspectief is de mens naar Gods beeld geschapen, wat geen antropomorfe theologie is, maar theomorfe antropologie [3]. De wetenschap, waaronder de geneeskunde, doet er derhalve goed aan zich te blijven onderwerpen aan de theologie en de filosofie, in het bijzonder de morele filosofie. De christelijke antropologie kan de specifieke waardigheid van de menselijke persoon belichten, waarbij het ‘beeld van God zijn’ en het bestaan van de onsterfelijke ziel gewaarborgd worden [4]. De natuur, inclusief die van de mens, bekijken we vanuit een beheerders-gedachte die ons ertoe brengt zelfbeperkingen op te leggen in het onderzoeken van en manipuleren van mens en natuur. Het gaat immers om een hem toevertrouwde natuur waarmee hij zorgzaam dient om te springen, in het bijzonder met de mens zelf [5].

Visie op de menselijke natuur

Een gemeenschappelijke en universele visie op de menselijke natuur nodig is om een brug te slaan tussen de natuurwetenschappen en de ethische principes die de handelingen moet leiden. Helaas wordt in de recentere geschiedenis de mogelijkheid van het hebben van een natuurlijke, universeel gedeelde visie ontkent. Het gevolg is een uitsluiten van de mogelijkheid van het opstellen van ethische principes. Zoals Johannes Paulus II schreef in de encycliek Fides et ratio, is er ‘een vertrouwenscrisis die door onze tijd gaat omtrent het vermogen van de rede’, dat leidt tot zwakkere ideeën zoals eclecticisme, historicisme, sciëntisme, pragmatisme, en onvermijdelijk in nihilisme. De vrijheid geldt dan als enige ethische beperking, terwijl waarden die de absolute vrijheid van mensen beperken als ‘discriminatie’ worden opgevat. Het komt er op aan het vertrouwen te herwinnen in de menselijke rede die openstaat voor de volledige waarheid en voor de bijdrage van de metafysische en theologische wetenschappen, die op hun beurt, steeds in staat begrijpelijk en geloofwaardig te zijn voor de mensen van onze tijd [6].

De visie op de mens staat dus centraal in het denken vanuit wetenschap én geloof. De Europese cultuur, gebouwd op de joods-christelijke godsdienst en de Griekse en Romeinse beschaving, heeft het persoon-zijn, van de mens, de mens als subject, voortgebracht, als een eenheid ziel en lichaam [7], principe van morele subjectiviteit. Europese teksten zoals die van Oviedo [8]  spreken dan ook van de onvoorwaardelijke eerbied voor de menselijke persoon. De menselijke persoon en zijn waardigheid is de solide basis waarop een ethiek van het menselijk leven gebouwd kan worden. De overweging van de persoon als ‘antropologische plaats’ van alle individuele en sociale waarden is de beste garantie dat deze waarden niet worden geobjectiveerd, gematerialiseerd, gereduceerd tot “dingen” om te worden omgezet in “wisselgeld” of ideologische stromingen. Daaruit vloeit voort het denken in termen van menselijke waardigheid, waarover in het hedendaagse denken verschillende opvattingen bestaan. De christelijke openbaring verlicht echter in een overtreffende manier het denken over de menselijke waardigheid, theologische gebaseerd op de ‘economie van het heil’: de schepping en de verlossing in Christus. De mens is het enige levende schepsel ‘naar het beeld en de gelijkenis van God’ (vgl. Gen 1:26), geroepen om in gemeenschap met God zelf te leven, in de kennis en liefde tot Hem. De menswording van de Zoon van God is het hoogste getuigenis van de hoogste waardigheid van de mens [9]. Daarbij komt het christelijk ideaal van de broederschap, dat gegenereerd word door het Vaderschap van God. De wereld moet opgevat worden als een plaats van ‘ware broederschap’ [10] waar ook plaats is voor het principe van de onbaatzuchtigheid in de economische, sociale en politieke ontwikkeling, als uiting van deze broederschap [11] [12].

Het voert hier te ver om deze gedachten uit te werken naar de diverse specifieke terreinen in de bio-ethiek die in dit congres aan bod kwamen, zoals het begin en het einde van het menselijk leven, het recht een beroep te doen op gewetensbezwaren, politiek en economie rond de gezondheidszorg en rechtvaardige verdeling, ethische oriëntaties rond klinische studies, etcetera.

Nieuwe evangelisatie

De waardigheid van het menselijk leven te beschermen in het licht van het geloof en wetenschap is een van de grootste morele uitdagingen voor onze beschaving en het is een verantwoordelijkheid ten opzichte van de toekomst van alle leven op aarde [13]. Vandaag, in een post-moderne context, lijkt religie obsoleet paradigma geworden te zijn, een fenomeen naast andere fenomenen, en de mens en de werkelijkheid gereduceerd tot pure materie. Alleen wetenschap zou rationeel zijn. De christelijke religie echter ziet de mens en de werkelijkheid echter als schepping, als gave, en kent er een intrinsieke waarde aan toe die niet in geld is uit te drukken. Het geloof en de christelijke ethiek zijn niet tégen wetenschap maar stellen er slechts grenzen aan [14].

De bio-ethiek kan een belangrijke bijdrage kan leveren in het kader van de nieuwe evangelisatie [15]. De Europese bio-ethiek, geworteld in de joods-christelijke cultuur, schreef heldere en gedurfde pagina’s om de waardigheid te verdedigen en de gelijke rechten van alle mannen en alle vrouwen van voor de geboorte tot aan de dood, gezond of ziek. Wetenschappelijk onderzoek en biotechnologie mogen niet bang om God opnieuw te ontdekken als een onuitputtelijke bron van het leven en de ultieme horizon, en zo definitief de betekenis en de waarde van elk menselijk beleven [16].

De individuele medicus of onderzoeker dienst allereerst zichzelf te re-evangeliseren door studie van het geloof, door in gemeenschap met andere gelovigen te leven, door te bidden en te getuigen in de wereld. De katholieke medicus valt op door zijn gevoeligheid voor en nabijheid bij de lijdende en de kwetsbare mens. Het persoonlijk getuigenis gefundeerd op de Verrezen Christus en onder de bezieling van zijn Geest dient aan de basis te liggen van elk middel dat de arts inzet bij de nieuwe evangelisatie [17]. De taal van de barmhartige Samaritaan kan daarbij worden beschouwd als ‘een van de essentiële onderdelen van morele cultuur en universeel menselijke beschaving’ [18]

Vincent Kemme is oud-leraar biologie in Nederland en aan de Europese Scholen te Brussel en oprichter van ‘Biofides’, een initiatief dat de relatie tussen biologie en geloof onderzoekt alsmede de de bio-ethische implicaties: www.biofides.eu. In die hoedanigheid is hij adviserend bestuurslid van de Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas.

[1] Prof. Hanna-Barbara Gerl-Flakovitz en  Prof. Hans-Bernhard Wuermeling, Duitsland Biotechnology and bioethics as fruits of Christian Europe

[2] Prof. Jasenka Markeljevic, Kroatië – Waardigheid van het menselijk leven: Perspectieven in het licht van het Geloof en de Wetenschap.

[3] U. Mauser, Gottesbild und Menschwerdung, BHT 43, 1971, geciteerd door Prof. Hanna-Barbara Gerl-Flakovitz en  Prof. Hans-Bernhard Wuermeling.

[4] Dr. Ermanno Pavesi, Switzerland – The originality of bioethical reflection in Europe

[5] Prof. Hanna-Barbara Gerl-Flakovitz en  Prof. Hans-Bernhard Wuermeling, Duitsland Biotechnology and bioethics as fruits of Christian Europe

[6] Kard. Giuseppe Versaldi, Italië – Faith and bioethics

[7] Tweede Vaticaans Concilie – Gaudium et Spes,14

[8] Verdrag tot bescherming van de rechten van de mens en de waardigheid van het menselijk wezen met betrekking tot de toepassing van de biologie en de geneeskunde: Verdrag inzake van de mens en de de biogeneeskunde. Oviedo, 4 april 1997

[9] Johannes Paulus II – Encycliek Redemptor hominis nr. 10: “Hoe kostbaar moet de mens zijn in de ogen van de Schepper, als Hij ons zo’n grote Verlosser” (Exultet de Paaswake) geeft, als God zijn Zoon gaf, zodat hij, de mens, niet verloren gaat maar eeuwig leven heeft “(vgl. Joh 3: 16)?”

[10] Vaticanum II, Gaudiulm et spes, nr. 37

[11] Benedictus XVI, Encycliek Caritas in Veritate, 19

[12] Kard. Dionigi Tettamanzi – The Christian roots of Europe and Bioethics

[13] Prof. Jasenka Markeljevic, Kroatië – Waardigheid van het menselijk leven: Perspectieven in het licht van het Geloof en de Wetenschap.

[14] Prof. Francesco D’Agostino, Italy  – Secular ethics and christian ethics

[15] Kard. Giuseppe Versaldi, Italië – Faith and bioethics

[16] Kard. Dionigi Tettamanzi – The Christian roots of Europe and Bioethics

[17] Prof. Bernard Ars, Belgium – 50 years after the II Vatican Council: the new evangelization and medicine

[18] Benedictus XVI – Toespraak tot deelnemers van het Internationaal Congres georganiseerd door de Pauselijke Raad voor Werkers in de Gezondheidszorg alsmede tot de leden van de Italiaanse en Europese Katholieke Artsenverenigingen, deelnemers aan het congres Bio-ethiek in Christelijk Europa. 17 november 2012. Citaat van Johannes Paulus II: Apostolic Letter Salvivici Dolorosis nr. 29

Varia

Motie tegen de banalisering van de dood in België

In verband met de besprekingen over de uitbreiding van de euthanasiewet naar kinderen en dementerenden moet de Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas, vzw./Société Médicale belge de Saint Luc, asbl. haar stem laten horen in dit debat.

De voorspelling dat men met de euthanasiewet van mei 2002 op een slippery slope zou geraken wanneer men afstapt van het gebod: “Gij zult niet doden” komt uit, sedert geruime tijd dringt de ‘publieke opinie’ op een uitbreiding van de euthanasiewet naar kinderen en dementerenden. Deze opinievorming wordt vlijtig geactiveerd door de media.

Na tien jaar toepassing euthanasiewet is geen enkel geval weerhouden als niet conform met de criteria van de wet, bewijs van de lakse toepassing van de wetgeving.

In januari 2013 werd dit ten overvloede aangetoond door de euthanasie van de doofstomme tweeling Verbessem.

Nu is men van plan verder af te glijden en de wet uit te breiden naar kinderen en dementerenden. Zal het zover komen dat een adolescent met een type I diabetes op een gegeven ogenblik vindt dat zijn ‘quality of life’ niet meer voldoet en ook euthanasie kan vragen?

Men beseft niet dat zelfbeschikking niet mag leiden tot een extreem determinisme van de persoon!

Het schermen met levenskwaliteit is een extreem subjectief begrip. Enkele maanden geleden zagen we op de VRT hoe Alzheimerpatiënten het onder elkaar nog best gezellig konden vinden, voor hen had de ‘’quality of life’ een heel andere invulling!

Het feit dat in de laatste twee jaren géén gevallen van kindereuthanasie werden aangegeven in Nederland (met 16 miljoen inwoners!) bewijst dat een uitbreiding van die wet eigenlijk overbodig is!

Beseft men dan niet dat we niet mogen geraken in een situatie van: “U vraagt, wij draaien!”.

 

In opdracht van het bestuur van de Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas vzw./Société Médicale belge de Saint Luc asbl.

Dr. Paul Deschepper
1 maart 2013

Motion contre la banalisation de la mort en Belgique

La Société Médicale belge de saint Luc asbl. veut exprimer son point de vue concernant la discussion au Sénat belge sur l’extension de la loi sur l’euthanasie envers les enfants et les personnes en état de démence.

La prédiction que la loi sur l’euthanasie du mois de mai 2002 nous amènerait sur une pente glissante quand on renonce au commandement “Tu ne tueras pas” se confirme: l’opinion publique et les responsables politiques désirent une extension de la loi sur l’euthanasie pour les enfants et les personnes en état de démence. Les médias y collaborent activement.
Après dix ans d’application de la loi sur l’euthanasie, aucun cas n’a été retenu comme non conforme aux exigences de la loi***, preuve d’une interprétation molle de cette loi.
Ceci a été prouvé par surcroît en janvier 2013 par l’euthanasie des jumeaux sourds-muets Verbessem.
On a l’intention d’étendre les semaines prochaines cette loi vers les enfants et les personnes en état de démence. Allons-nous déraper vers des situations où un adolescent avec un diabète du type I trouve à un certain moment que sa qualité de vie devient insuffisante et qu’il puisse demander une euthanasie?
On ne conçoit pas que l’autodétermination ne peut pas évoluer vers un déterminisme extrême de la personne !
La notion de qualité de vie est une notion extrêmement subjective. Il y a quelques mois, nous puissions voir à la VRT (télévision flamande) comment des malades atteints de la maladie de Alzheimer s’amusaient agréablement entre eux, pour eux la qualité de vie avait une toute autre expression.
Le fait qu’en Hollande (avec 16 millions d’habitants) nul cas d’euthanasie d’enfants n’a été signalé les deux dernières années, prouve que cette loi est inutile, on ne promulgue pas des lois pour de grandes exceptions !
Est-ce qu’on ne conçoit pas que nous ne pouvons pas évoluer vers un situation dans le genre : « vous demandez, nous tournons ! »

Mandaté par la Société Médicale belge de Saint Luc / Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas, vzw.

Dr. Paul Deschepper, président d’honneur
3 mars 2013
*** alors que celle-ci n’est pas respectée comme en témoigne le faible nombre de déclarations (inférieur à 50% d’après certaines études)

Eléments de réflexion appuyant la position des chrétiens par rapport à l'euthanasie

L’euthanasie vise à provoquer délibérément la mort du patient pour le libérer de ses souffrances. Les soins palliatifs visent une meilleure qualité de vie possible au malade en phase terminale. Il y a une différence essentielle entre ôter la vie pour supprimer la douleur et combattre la douleur (analgésiques) avec le risque d’abréger la vie.

Du point de vue des faits, on constate ces dernières années en Belgique environ 1000 euthanasies/an. La loi belge du 28 mai 2002 cherchait à combattre les pratiques clandestines en fournissant une certaine sécurité juridique pour tous les acteurs de ce geste. On constate après 10 ans une libéralisation des critères requis par la loi : ainsi, on ne considère plus seulement les pathologies terminales ; on désire étendre l’euthanasie à des handicapés diagnostiqués avant ou au moment de la naissance, à des adultes atteints de démence… On constate aussi qu’il n’y a pas de contrôle effectif du respect des prescrits de la loi ou, en tout cas, que celui-ci est effectué de manière très relative.

Le critère déterminant pour dire qu’il s’agit d’euthanasie est l’intention de donner la mort. Il faut donc réfléchir sur la perception que nous avons de la mort. La mort est inéluctable. Elle fait partie de la condition humaine. L’acharnement thérapeutique est un combat exagérément obstiné contre cette mort inéluctable. Face à la mort, surgissent beaucoup de passions, de fantasmes et de frayeurs qui prennent parfois le dessus sur la rigueur de la réflexion. Que se passe-t-il après la mort ? Est-ce le néant ? Si la vie terrestre ne débouche sur rien, alors il vaut mieux essayer de la rendre la plus agréable possible et d’en terminer quand ce n’est plus possible.

Le message du Christ est que nous sommes appelés à vivre à travers et au-delà de la mort physique. Celle-ci devient un passage, pas nécessairement aisé, vers une autre forme de vie de plénitude où finitude et souffrances auront disparu. Dans la Foi que les chrétiens partagent, on ne vient pas du néant pour retourner au néant. En parlant de vie après la mort, on pose un acte de foi car il n’y a pas de preuve scientifique de l’existence d’une « autre » vie. Cet acte de foi n’est cependant pas déraisonnable. Il découle de l’amour qui donne du sens à nos vies et qui, en soi, n’a pas de limites. Il nous a été manifesté par Jésus-Christ dont les paroles et les actes sont consignés dans les évangiles. Ce message est vécu et transmis de génération en génération de croyants (la tradition au sens « vivant » du terme).

Dans un contexte d’amour, la personne, quel que soit son état physique ou mental, est humaine par ce qu’elle est et non par ce qu’elle fait ou a fait.

Euthanasier ou contribuer à un acte d’euthanasie, c’est supprimer une personne. Puis-je disposer de la vie d’une autre personne même avec son consentement ? Plus fondamentalement, c’est affirmer qu’il n’y a rien après la mort et donc que la seule solution qui s’offre à nous, c’est de profiter à fond du bonheur que peut nous donner notre vie présente en société.

Dépénaliser l’euthanasie amène à confier au corps médical une attribution nouvelle, celle de donner la mort, fût-ce sur demande. Cela affecte profondément la structure morale de la médecine qui se définit comme l’art de guérir. Quand le médecin n’a plus la possibilité de guérir, ira-il jusqu’à éliminer la personne qui souffre ?

On se trouve dans un monde fermé, où même l’amour réciproque est fermé, sans perspective sinon un état temporaire agréable pour autant que le contexte dans lequel on vit et qu’on est loin de contrôler entièrement le permet.

In Memoriam Dr. Raymond Lenaerts , "Meneer Doktoor van Mortsel"

Op 24 februari 2013 is dr. Raymond Lenaerts na een langdurige ziekte overleden in het Sint-Augustinusziekenhuis te Antwerpen. Hij werd 88 jaar.

Na zijn Humaniora in het St-Romboutscollege te Mechelen trok hij naar Leuven waar hij in 1949 promoveerde als doctor in de genees- heel- en verloskunde. Gedurende vijftig jaar was hij de geliefde, gedreven en minzame huisarts te Mortsel Oude-God. Naar men zegt heeft hij ongeveer tweeduizend bevallingen aan huis verricht!

Hij was ook een sociaal zeer geëngageerde medicus, als medewerker, ondervoorzitter en voorzitter van talrijke verenigingen. Uit de lange lijst vernoemen we: gewezen voorzitter van de Provinciale Geneeskundige Commissie van Antwerpen, voorzitter van het Vlaams Geneeskundigenverbond, Ondervoorzitter van de Belgische Vereniging voor Medische Ethiek en Moraal, voorzitter van de Antwerpse Gilde van de Sint-Lucasvereniging, trouw lid van de Cantorij Sint-Cecilia Heilig Kruiskerk Oude God.

Hij was vele jaren lid van het bestuur van de Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas waar zijn rijke kennis en ervaring ten zeerste werd geapprecieerd.

Samen met zijn echtgenote Bieke was hij een gedreven reiziger, hij bezocht tal van tentoonstellingen, als muziekliefhebber ging hij naar veel concerten en daarbij verslond hij talrijke boeken over de meest verscheidene onderwerpen. Als aangename causeur kwam hij ook op in de televisiereeks “Meneer Doktoor” die in Vlaanderen veel succes kende.

Hij was ook begiftigd met een fenomenaal geheugen, hij onthield niet alleen de feiten maar ook data en jaartallen, een papiertje als geheugensteun had hij zelden nodig. Zijn bezieling straalde uit op zijn toehoorders.

Wanneer zijn gezondheid begon af te takelen, nam hij dat stoïcijns op, zijn diepe katholieke geloofsovertuiging gaf hem veel sterkte en opbeuring.

De Sint-Lucaskring van Antwerpen had aan hem een dynamische voorzitter die, rekening houdend met het grote aanbod aan voordrachten in Antwerpen, een beperkt aantal vergaderingen organiseerde, echter telkens met eminente sprekers, die ook graag naar het prestigieuze Geneesherenhuis in de Louizastraat kwamen. Laat ons hopen dat een jonge en enthousiaste collega die traditie zal voortzetten!

Zijn gedachtenis zal blijven voortleven, niet alleen in zijn mooi gezin, maar ook bij zijn patiënten en de talrijke artsen die hem hebben leren kennen en waarderen.

Ik wil besluiten met zijn eigen woorden op het overlijdensprentje: “Houdt altijd de goede familiebanden in ere en tracht steeds de ware zin van het leven te ontdekken. Denk er aan: een mens leeft niet alleen voor zichzelf…”

Dr. Paul Deschepper.

Rede uitgesproken bij de begrafenis van Dr. Raymond Lenaerts op 02.03.2013

AFSCHEID VAN DR. RAYMOND LENAERTS
Beste Bieke, waarde familie en vrienden, beste aanwezigen op dit afscheid van dr. Raymond Lenaerts,

Hoewel zijn heengaan niet onverwacht was, blijft het toch een éénmalig feit als je man, vader, schoonvader, grootvader en overgrootvader er niet meer is, je hoort zijn stem niet meer, zijn vertrouwde zetel is leeg, de vertrouwde verplegenden zijn nu weg.

Er zijn echter veel redenen om van Raymond Lenaerts een mooie herinnering te bewaren: hij was tot hoge leeftijd niet alleen het type van de echte degelijke en minzame huisarts, maar ook de sociaal geëngageerde medicus die zijn beste krachten besteedde in velerlei administratieve functies: in het bijzonder als gewezen secretaris van de Provinciale Raad van de Orde der Geneesheren van Antwerpen, als gewezen voorzitter van het Vlaams Geneeskundigenverbond en last but not least als Ondervoorzitter van de Belgische Vereniging voor Medische Ethiek en Moraal.

Met hart en ziel heeft hij zich aan al die taken gewijd, maar voor de Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas en in het bijzonder aan de Gilde van Antwerpen had hij zijn hart verpand. Als christelijke arts was hij bewust van zijn plicht om onze katholieke geloofstraditie in het medisch korps uit te dragen en te verdedigen.

Hij ondervond ook veel sterkte en muzikaal genot als lid van de Cantorij Sint-Cecilia van de Heilig Kruiskerk in Oude God .Wanneer zijn gezichtsvermogen begon te verminderen en hij minder kon lezen, troostte hij zich met de idee dat hij des te meer van muziek zou kunnen genieten.

Wat bij hem ongeschonden is gebleven is zijn fenomenaal geheugen; voor zijn vrienden en kennissen was het een genoegen te luisteren naar de vele anekdoten uit zijn rijk beroepsleven.

De christelijke uitvaartliturgie die we nu meemaken beschouwt de dood als de voortzetting van het eeuwig leven dat begonnen is bij het doopsel: het begin van het Verbond met Christus.

De dood is geen absoluut breukmoment, nu roept God deze mens tot zich, hij deelt nu zijn leven met Christus, het wordt zijn laatste Pasen (Marc Peersman).

Hij rustte in vrede.

Dr. Paul Deschepper, erevoorzitter van de Belgische Artsenvereniging Sint-Lucas.